Le bûcher de Montségur
grande délégation, composée de représentants de la noblesse, de la bourgeoisie et du clergé languedociens.
Parmi ces personnalités se trouvaient vingt notables toulousains, consuls ou barons ; entre autres, Bernard VI comte de Comminges, Hugues d’Alfaro, beau-frère (naturel) du comte, Raymond Mauran, le fils de ce Pierre Mauran qui fut flagellé et exilé en 1173, Guy de Cavaillon, Hugues de Roaix, Bernard de Villeneuve, etc. Le comte de Foix, Roger Bernard, n’accompagnait pas son suzerain : sans doute son penchant pour l’hérésie était-il trop notoire, et il pouvait craindre de faire échouer les négociations en se présentant en personne. Privée de l’homme qui était, plus que le comte de Toulouse lui-même, l’âme de la résistance du Languedoc, la délégation était en revanche bien représentée du côté du clergé : l’énergique Pierre Amiel, nouvel archevêque de Narbonne, le vieil évêque de Toulouse, les évêques de Carcassonne et de Maguelonne, les abbés de la Grasse, de Fontfroide, de Belleperche et naturellement l’abbé de Grandselve accompagnaient le comte bien décidés à défendre devant le concile de Meaux les droits de l’Église. Le cortège comprenait en outre les nouveaux seigneurs de l’Albigeois, les anciens compagnons de Montfort (ou les héritiers de ceux qui étaient morts entre-temps), Guy de Lévis le « maréchal », Philippe de Montfort, Jean de Bruyère, les fils de Lambert de Croissy, etc., qui tous venaient recevoir du roi l’investiture qui les confirmait dans leurs nouvelles possessions.
À Meaux, la reine avait fait réunir un grand concile, où étaient convoqués les évêques et abbés du Nord aussi bien que du Midi. L’assemblée était présidée par l’archevêque de Sens, assisté par les archevêques de Bourges et de Narbonne ; mais le chef véritable de la délégation ecclésiastique était le cardinal-légat Romain de Saint-Ange, en sa qualité de légat des Gaules ; il avait à ses côtés les légats d’Angleterre et de Pologne. À la tête des représentants de la couronne se trouvaient le connétable Mathieu de Montmorency et Mathieu de Marly (tous deux parents des Montfort), et le comte Thibaut de Champagne, le médiateur officiel de la paix qui allait être conclue.
Le comte de Champagne mis à part, Raymond VII se voyait donc, en arrivant à Meaux, dans une assemblée composée soit de ses pires ennemis, soit de puissances de l’Église qui ne pouvaient songer à discuter avec lui comme avec un égal, mais au mieux à le traiter en criminel repentant. Il était venu pour traiter avec le roi de France et se trouvait en quelque sorte traduit devant un tribunal ecclésiastique. Mais il est vrai que les pouvoirs laïques étaient représentés par une régente qui valait à elle seule dix évêques.
Le zèle de Blanche de Castille pour la foi catholique est trop connu pour que l’on ait besoin d’insister là-dessus. Cette reine, loin d’imiter son aïeule Éléonore d’Aquitaine, de présider des cours d’amour et de mener une vie mondaine et brillante, consacrait à la prière et à l’étude le temps libre que lui laissaient ses devoirs de mère de famille : elle eut onze enfants, et si la légende qui veut qu’elle les ait allaités elle-même est fausse (on sait que saint Louis eut plusieurs nourrices) il n’en reste pas moins vrai qu’elle s’occupa personnellement de leur éducation, et garda sur eux toute sa vie une influence profonde. Très autoritaire, elle resta, même après la majorité de son fils, la véritable régente du royaume. C’est donc à elle plutôt qu’au cardinal-légat qu’il faut attribuer la responsabilité du traité de Meaux ; mais elle était poussée elle-même par une autorité supérieure qu’elle servait avec un dévouement aveugle, encore qu’intéressé. Par un concours de circonstance exceptionnellement favorable, sa piété se trouvait être, dans l’affaire du Languedoc, au service de ses intérêts.
Sans doute était-ce un malheur pour Raymond VII d’avoir, en cette affaire qui décidait du sort de son pays, à traiter avec une femme. Un homme, fut-il Philippe Auguste lui-même, eût peut-être rougi de se rendre coupable d’un tel abus de pouvoir ; il eût pu être retenu par le respect des traditions féodales, par la crainte du blâme public, par la nécessité de ménager l’adversaire dans l’espoir de s’en faire un allié. Dans l’attitude de
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