Le bûcher de Montségur
1229, malgré les rigueurs de l’hiver et les difficultés du voyage, l’abbé de Grandselve revenait à Toulouse, porteur du projet de traité élaboré par la régente et le légat.
Par ce projet, le roi de France (en la personne de sa mère) reconnaissait pour siens sans réserves et sans discussions l’ancien domaine des Trencavel, c’est-à-dire : le Razès, le Carcassès et l’Albigeois ; plus la ville de Cahors et les terres relevant du comte de Toulouse en Provence (au-delà du Rhône). Le roi « laisse » au comte l’évêché de Toulouse et lui « cède » ceux d’Agen et de Rodez (l’Agenais et le Rouergue méridional) et encore sur ces terres Raymond VII doit-il faire démanteler trente places fortes dont vingt-cinq sont nommément désignées (parmi elles des villes importantes comme Montauban, Moissac, Agen, Lavaur et Fanjeaux) et les cinq non nommées sont laissées à la discrétion du roi. Les biens des personnes « dépossédées » par la reconquête (c’est-à-dire des croisés de Montfort) doivent être restitués. Le comte doit livrer au roi neuf forteresses (dont les deux Penne, d’Agenais et d’Albigeois) pour une durée de dix ans.
De plus, le comte doit « livrer » sa fille, qui sera donnée en mariage à un frère du roi (non désigné) et qui deviendra l’unique héritière des domaines de Toulouse, à l’exclusion des autres enfants que son père pourrait avoir plus tard (sauf le cas où elle mourrait avant lui et qu’il ait des fils légitimes à cette date).
À ce prix-là seulement il pouvait être réconcilié avec l’Église, condition préliminaire du traité car, est-il ajouté, « si l’Église ne nous pardonne pas… le roi ne sera pas tenu d’observer cette paix, et si le roi ne l’observe pas nous n’y serons pas non plus obligé ».
Dans ce projet de traité, publié par les hérauts dans les villes du Midi, il est à peine fait mention des hérétiques ; l’obligation de les poursuivre est sans doute sous-entendue par le fait même de la réconciliation avec l’Église, mais il n’est pas explicitement parlé des mesures à prendre contre eux et qui semblent laissées à l’initiative du comte.
Si dur qu’il fût, ce traité ne fut pas jugé absolument inacceptable par les barons et les consuls que Raymond VII convoqua au Capitole de Toulouse pour leur soumettre les propositions royales. Il y fut décidé en tout cas que le comte se rendrait à Paris, accompagné d’une délégation de barons et de dignitaires des principales villes, pour essayer de négocier, sur les bases de ce projet, une paix plus avantageuse. L’abbé de Grandselve rapporta la réponse du comte à la reine, qui décida de convoquer, pour la fin mars, une conférence à Meaux (ville en quelque sorte neutre, puisqu’elle relevait du comté de Champagne) afin de fixer les conditions définitives de la paix.
Le traité n’était pas encore signé. Le fait même que c’était l’adversaire qui demandait à négocier et y mettait un empressement peu commun faisait sans doute croire aux barons du Midi que ce projet n’était qu’une manœuvre d’un partenaire décidé à marchander et commençant à dessein par des prétentions exorbitantes, pour se laisser la liberté d’en rabattre ensuite. Étant donné la terrible situation économique du pays, il eût été imprudent de repousser des offres de paix ; il est donc certain que le comte se rendit à Meaux dans l’intention de négocier et de discuter, mais non de capituler sans conditions.
On peut se demander quelles considérations ont pu forcer Raymond VII à signer un traité beaucoup plus dur que celui qui lui avait été proposé et que ses conseillers et vassaux n’avaient déjà accepté que sous réserve. Si même un contemporain bien informé, et nullement suspect de fanatisme antifrançais tel que Guillaume de Puylaurens, ne comprend pas, nous le comprenons encore moins. La logique de l’histoire veut que le vainqueur écrase le vaincu jusqu’aux limites du possible, et il faut croire que le Languedoc, malgré d’appréciable succès militaires, se trouvait dans un état de misère dont les témoignages parvenus jusqu’à nous ne donnent qu’une faible idée. Il n’en reste pas moins vrai que ce fut un traité scandaleux, et plus cruel si possible que la dépossession pure et simple de Raymond VII par le concile de Latran.
Le comte de Toulouse arrivait en France à la tête d’une
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