Le bûcher de Montségur
excommuniés qui n’auront pas fait leur paix avec l’Église dans le délai d’un an ; à ne plus confier de charges publiques aux Juifs et aux personnes suspectes d’hérésie ; à combattre tous ceux qui refuseront de se soumettre à ce traité, en particulier le comte de Foix.
L’héritière et l’héritage du comte passent, comme convenu, aux mains du roi de France ; le roi hérite même au cas où son frère (l’époux de l’héritière de Toulouse) mourrait sans enfant et où le comte aurait d’autres enfants légitimes. Ce qui est contraire à la coutume et peu logique, puisque pour s’assurer la possession du comté de Toulouse le roi a tout de même besoin du prétexte légal qu’est ce projet de mariage. Il faut croire que Raymond VII, lui aussi, comptait sur la puissance du droit d’héritage : il n’avait que trente-deux ans, et avait amplement le temps de se remarier et de déjouer ainsi les plans trop ambitieux de la régente.
Plusieurs historiens, à commencer par dom Vaissette, lui ont fait grief de ce traité. Nous ignorons quelles pressions furent exercées sur ce prince ; mais il est évident qu’à ses yeux, comme à ceux de ses contemporains, ce fut une « paix forcée » 148 , donc provisoire, et pouvant être dénoncée dès que les circonstances deviendraient plus favorables. Le précédent du concile de Latran était encore dans tous les esprits. Les vaincus ont de tout temps pratiqué la politique du chiffon de papier, le respect des traités n’est sacré que pour le vainqueur.
Les conditions du traité ayant été arrêtées par le synode de Meaux, il ne restait plus qu’à les faire confirmer solennellement par le jeune roi et la régente ; la cérémonie devait avoir lieu le jeudi saint, qui tombait le 12 avril. Là seulement, le comte allait être enfin absous et réconcilié à l’Église, sur le parvis de Notre-Dame de Paris, en présence de la reine, des barons, des légats et des évêques, du parlement et du peuple de Paris.
Ce jour qui célébrait la paix entre le roi de France et un grand vassal du Midi devait être signalé par une pompe digne de l’événement. Cet acte de diplomatie devait en même temps être un grand spectacle, avec tribunes, gradins disposés autour du parvis de la cathédrale toute neuve encore, étincelante d’ors et de couleurs vives, et avec laquelle les vêtements somptueux des barons, des dames, des prélats, les bannières, les dais, les tapis, les armures des gardes royaux, les chevaux magnifiquement harnachés pouvaient rivaliser de splendeur. La reine et son fils, le jeune Louis IX, assis sur leurs trônes, avaient les prélats à leur droite, les barons à leur gauche ; devant le roi était dressé un pupitre où était posé l’Évangile sur lequel le comte allait jurer d’observer le traité de paix.
À vrai dire, le comte doit apparaître dans cette cérémonie non comme un prince qui vient signer un traité, mais comme un vaincu mené en triomphe derrière le char du vainqueur. Quatorze ans plus tôt un traitement beaucoup plus indigne était infligé à Ferrand, comte de Flandres, traîné dans Paris sur une charrette, les fers aux mains et aux pieds, sous les quolibets de la foule ; et le peuple, toujours heureux de l’humiliation d’un grand seigneur, voyait dans le comte de Toulouse un ennemi juré du roi de France justement puni de sa perfidie. Mais Raymond VII n’avait pas été vaincu dans une bataille ni fait prisonnier, et n’était coupable d’aucun manquement à la foi jurée ; il était venu de lui-même pour conclure une paix plus avantageuse pour la France que pour son propre pays. S’il fallait à tout prix le présenter comme un vaincu auquel on ne fait grâce que par pure bonté, c’était (indépendamment du rôle joué dans l’affaire par l’Église) parce que la royauté capétienne était en train de devenir assez forte pour se croire de droit divin.
Devant le roi et la régente, et l’assemblée des prélats et des barons, le tabellion royal lit à haute voix le texte du traité, lequel est rédigé au nom du comte de Toulouse qui est, du reste, le seul à s’engager à quoi que ce soit, le roi et l’Église ne lui promettant absolument rien, sinon la libération du peuple de Toulouse des engagements pris envers le roi et les Montfort, engagements qui, de toute façon, n’avaient plus aucune valeur réelle. Le comte par le présent traité déclare : « Que tout
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