Le bûcher de Montségur
Portugal.
On a pu se demander pourquoi Blanche de Castille avait consenti à exposer son parent, déjà assez injustement traité, à cet affront sanglant et nullement nécessaire. Raymond VI, le jour où il fut flagellé à Saint-Gilles, était soupçonné d’un crime capital commis sur ses terres et dont il endossait la responsabilité en tant que chef d’État ; il était châtié par le légat sur ses propres domaines ; c’était une affaire d’Église, et aucun souverain étranger n’était là pour assister à son humiliation. Paris n’était pas le seul endroit où l’Église de Rome pût manifester son autorité (en principe, du moins).
Or, Raymond VII n’était pas accusé du meurtre d’un légat, et son catholicisme n’avait jamais été mis en doute ; s’il avait pris les armes contre Simon de Montfort, ses prétentions étaient si légitimes que, même en l’écrasant, ses adversaires ne pouvaient lui refuser le titre de comte de Toulouse. De plus, il s’était soumis de son plein gré, et cédant aux sollicitations empressées de ses adversaires. Il semble que l’Église, au lieu de le fustiger, eût dû rendre hommage à son esprit de conciliation. Cette humiliation publique d’un prince méridional sur le parvis de la cathédrale de Paris semble être plutôt un triomphe de la politique royale qui, par l’intermédiaire de l’Église, abaissait un grand féodal.
Blanche de Castille, avec plus de hardiesse que son beau-père Philippe Auguste, orientait la monarchie capétienne vers un véritable culte de la personne du roi et vers cet absolutisme qui devait, quatre siècles plus tard, conduire à la quasi-déification d’un Louis XIV. Prenant pour modèle la papauté, la reine agissait comme si le seul fait de s’opposer à la volonté royale constituait un sacrilège. Elle avait de bonnes raisons pour agir ainsi : l’insoumission et les intrigues des grands barons mettaient sans cesse en péril un royaume exposé depuis près d’un siècle à la menace anglaise, et le jeune Louis IX était encore un enfant incapable de se faire craindre. Il fallait donc, non seulement réduire à l’obéissance le vassal insoumis, l’adversaire toujours dangereux qu’était le comte de Toulouse, mais l’humilier, afin de frapper les esprits par cette manifestation éclatante du pouvoir royal. Les verges que maniait Romain de Saint-Ange symbolisaient la victoire future de la monarchie sur la féodalité.
Après la douloureuse cérémonie du Jeudi saint 1229, le comte de Toulouse resta encore six mois prisonnier au Louvre, tant on se méfiait de lui, tant on craignait que sa présence n’empêchât l’exécution des clauses du traité. Il ne devait revenir dans sa ville que le jour où elle serait privée de ses murailles et occupée par les émissaires du roi.
Du mois d’avril jusqu’au mois de septembre Raymond VII restera incarcéré au Louvre, avec les notables et les barons toulousains qu’il avait amenés avec lui. Une lettre royale prétend qu’il est « resté en prison sur sa propre demande ». En fait, on pourrait croire que la reine et le légat supposaient que, laissé libre, il eût aussitôt dénoncé le traité et leur eût fermé les portes de Toulouse, au risque d’une guerre à mort. Le traité, qui prévoyait la livraison d’otages, ne stipulait nullement que le comte se livrerait en otage lui-même.
Pendant que le comte restait enfermé dans une tour du Louvre, les commissaires de la reine et du légat – Mathieu de Marly et Pierre de Colmieu, vice-légat des Gaules – se rendaient en Languedoc pour prendre possession des territoires qui étaient concédés au roi et faisaient procéder à la destruction des murs de Toulouse et à l’occupation du château Narbonnais, puis au démantèlement des murailles des places fortes désignées par le traité. Il ne leur fut pas opposé de résistance : la paix était signée, le comte retenu en otage, et c’était sous la garantie de sa signature qu’agissaient les mandataires du roi. Les deux infantes d’Aragon, Éléonore et Sancie, belle-mère et femme de Raymond VII, furent expulsées de leur résidence du château Narbonnais pour céder la place au sénéchal du roi, et la petite princesse Jeanne fut enlevée à sa mère (qu’elle ne devait plus revoir) pour être conduite en France.
Les grands vassaux du comte de Toulouse vinrent prêter hommage aux émissaires du roi. Le comte de Foix refusa
Weitere Kostenlose Bücher