Le bûcher de Montségur
Blanche, on croit sentir la dureté de la femme restée veuve avec des enfants sur les bras et obligée de « se défendre ». Femme, elle est, de par la faiblesse de son sexe, en dehors des conventions tacites qui régissent les rapports des hommes entre eux. En politique, elle a la hardiesse (souvent heureuse) des amateurs, qui osent beaucoup par ignorance et par mépris des règles, plutôt que par calcul. Femme encore, elle se laisse dominer par ses sentiments et, farouchement catholique, elle ne voit aucun mal à écouter, dans une affaire d’État, les conseils des prêtres plutôt que ceux des laïcs. Son attachement au légat Romain de Saint-Ange prouve à quel point elle était acquise corps et âme au parti de l’Église.
Il importe assez peu de savoir s’il y eut entre eux ou non ces relations coupables que les contemporains leur ont attribuées (le légat était encore jeune et l’affection que lui témoignait la reine était trop évidente). Fière et dévote, onze fois mère, et accablée par les soucis d’une tâche écrasante, la régente avait-elle encore du temps et du cœur à gaspiller dans une intrigue amoureuse ? La rumeur publique l’accusa comme elle devait accuser plus tard Anne d’Autriche, cette autre régente obligée de s’appuyer sur un prêtre pour régner. Ce qui importe, et ce qui est certain, c’est que l’influence de Romain de Saint-Ange fut très grande, et qu’en toutes circonstances la reine approuva son légat et lui laissa les mains libres.
Le programme de répression méthodique de l’hérésie, qui transformait le traité de Meaux en une véritable mainmise policière de l’Église sur le Languedoc, a été élaboré sous la direction du légat ; mais la reine, elle aussi, professait une telle horreur de l’hérésie que, plus tard, saint Louis, son fils et fidèle disciple, devait conseiller à ses amis de plonger leur épée dans le ventre de quiconque tiendrait devant eux des propos entachés d’hérésie ou d’incrédulité. Elle ne pouvait qu’approuver sans réserve toutes les mesures que le légat devait prendre contre les ennemis de l’Église.
Il y avait, dans la base des négociations proposées à Raymond VII, un malentendu volontaire : d’un côté il était le chef d’un pays belligérant décidé à conclure la paix ; de l’autre, il était un excommunié sans droits ni titres, qui avait commis le crime de disputer au roi des terres qui appartenaient à ce dernier de par la décision de l’Église. La mission de l’abbé de Grand-selve s’adressait au comte de Toulouse ; arrivé à Meaux, Raymond VII n’était plus que l’excommunié auquel on faisait trop d’honneur en recevant sa soumission inconditionnée. Les négociations préalables n’avaient donc été qu’un simulacre destiné à attirer le comte dans le piège.
Arrivé à Meaux, il n’avait plus d’autre alternative que d’accepter les conditions de ses juges, ou bien de rompre les négociations. Du reste, il n’est pas du tout certain qu’en cas de rupture ouverte le comte eût été libre de repartir et de recommencer la guerre : après la signature du traité de paix, il fut retenu prisonnier au Louvre ; rien ne dit que, s’il avait refusé de signer, il eût été traité avec plus de ménagements.
Or, les modifications apportées par le légat aux préliminaires du traité étaient assez considérables.
D’abord, Toulouse devait être de nouveau privée de ses murailles, dont 500 toises (près de 1 km.) devaient être rasées, et le château Narbonnais, résidence des comtes, devait être livré au roi de France ; ensuite, les indemnités à verser pour dommages de guerre aux églises et aux abbayes (même à celles de Cîteaux et de Clairvaux qui, n’étant pas en Languedoc, n’avaient subi aucun dommage) s’élevaient à des sommes énormes ainsi que l’entretien de la garde du château Narbonnais pour le compte du roi (20 000 marcs en tout, payables en quatre ans) ; ensuite, le traité prévoit la création d’une école de théologie à Toulouse, pour l’entretien de laquelle le comte doit également payer la somme de 4 000 marcs, et qui sera dirigée par des maîtres imposés par le roi et l’Église ; enfin, le comte s’engage formellement à combattre les hérétiques, à les faire rechercher par ses baillis, à payer 2 marcs d’argent à quiconque aura fait prendre un hérétique, à faire confisquer les biens des
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