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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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pas voulu la regarder en face, repoussant à plus tard une constatation qu'il supportait mal. La mort du feu roi en avait été le signe annonciateur ; elle avait révélé une rupture masquée par des faux-semblants. La fin du précédent règne préludait pour lui à la fin d'un âge. Le temps irrémédiable sapait ses défenses et c'est en homme seul qu'il en appréhendait maintenant la part d'ombre.
    Il soupira en revoyant cette réunion étrange dans la bibliothèque du roi. Et d'abord cette surprenante présence d'un ambassadeur d'une puissance étrangère prenant part aux conseils du monarque. Il y avait là de quoi s'effarer. Était-il convenable qu'une reine de France eût quasiment à demeure auprès d'elle, et chaque jour que Dieu faisait, un tel conseiller ? Quelles que fussent les aimables relations qu'il avait nouées avec le comte de Mercy-Argenteau, au fond de lui-même il ne pouvait s'empêcher de le qualifier d'espion. Si étroite que fût l'alliance entre la France et l'Autriche, rien n'était plus fragile que ces constructions éphémères qu'un changement d'équilibre des puissances ou de règne pouvait bousculer en un instant.
    À cet observateur domestique aux conseils si intéressés, s'ajoutait M. de Maurepas. Aussi conscient qu'il était du dépérissement de sa santé et du vœu de beaucoup de le voir sortir du champ des affaires, il ne pouvait s'empêcher de préserver en l'état cette douce et aimable dictature qu'il exerçait sur l'esprit du jeune roi. Parfois il semblait que la tentation de la retraite l'emportât, mais l'amour-propre et la passion du pouvoir, même immobile, combattaient toujours les conseils de la raison et de la prudence. Il craignait de quitter la cour et de n'y conserver alors nulle parcelle d'autorité.
    Quant à Vergennes, les grands intérêts dans lesquels il était plongé, sa prudence et les calculs toujours renouvelés à la mesure des événements le laissaient indifférent aux péripéties, serviteur du trône sans état d'âme ni volonté de suprématie. En cela même il n'était d'aucun appui au roi dans tout ce qu'il considérait comme agitation subalterne.
    Et pour le petit Amelot, il suffisait d'écouter les refrains fredonnés de par les rues pour comprendre aussitôt son inconsistance 164 .
    Et Nicolas revenait à M. de Sartine. Son esprit toujours l'y ramenait comme la main ne peut s'empêcher de gratter une mauvaise plaie. Le ministre, il le savait bien, poursuivait des voies multiples. Sa passion pour Choiseul allait de pair avec celle qu'il éprouvait pour la marine dans son désir de venger le désastreux traité de Paris avec les Anglais. Il conservait le vain espoir de voir revenir aux affaires l'ermite de Chanteloup. Ces deux passions conjuguées le poussaient à s'opposer aux étoiles montantes. Il critiquait Necker, directeur du Trésor, comme naguère Turgot, souhaitant les voir échouer au profit de Choiseul, mais pour cela et ce qu'on lui prêtait n'obtenant d'eux que des crédits limités pour son département.
    Des cris sortirent Nicolas de sa réflexion, la file des voitures s'immobilisa à l'entrée dans Paris. Un soleil pâle baignait d'une douce lumière cette fin d'après-midi. Les cris redoublaient ; ayant abaissé la glace, il se pencha à l'extérieur. Il s'agissait d'une banale querelle comme il en éclatait tant chaque jour. Le passage était bloqué par un de ces attroupements toujours si redoutés de la police. Cela débutait par un accès de curiosité populaire, des regards au début indifférents sur les protagonistes, le côtoiement et les filous qui se faufilaient, profitant de l'aubaine pour récolter bourses, montres et tabatières. À la curiosité et à l'amusement succédaient souvent la prise à partie, les quolibets, les battements de mains qui peu à peu augmentaient le nombre des belligérants et déclenchaient de funestes accès de violence. Les mœurs simples des Parisiens favorisaient d'abord cette humeur enjouée prompte à la plaisanterie tant vantée par les étrangers. Cependant, rapidement autour de cette masse de gens assemblés tout s'agglutinait : marchands de bouches proposant leurs poisseux produits croquignoles, petits fours, oublies et fruits sur des éventaires portatifs, mendiants, estropiés, aveugles, soldats en goguettes, tire-goussets et bons bourgeois en famille. Comme une étoupe l'émotion populaire pouvait s'enflammer en un instant. Mais la foule se dispersait déjà, rieuse et

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