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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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caquetante. Le propos de Maurepas retentit dans la tête de Nicolas et, dans un soupir, il embrassa soudain la grand'ville et ceux qui y vivaient dans un même élan d'amour et de pitié.
    À hauteur du Pont-Royal, il se fit déposer et renvoya sa voiture. Il souhaitait marcher. Il en ressentait l'impérieux besoin, si salutaire pour favoriser la rumination quasi inconsciente des idées. De cet état scandé par le rythme des pas, maintes fois il en avait fait l'expérience, naissaient les appréhensions nouvelles des situations compliquées. Il gagna le quai des Galeries et le Port Saint-Nicolas. Là il s'arrêta et, assis sur une borne, contempla le spectacle qui s'offrait à lui de tous côtés. Au premier plan, la rive pavée, descendant en pente douce vers la rivière. Cet espace tout de désordre était encombré de ballots, caisses, pierres de taille, tonnelets déchargés. Des silhouettes étranges se dressaient vers le ciel, instruments de levage, potences et faisceaux de gaffes et de perches. Çà et là gisaient de curieux berceaux, sorte de traîneaux qui permettaient de faire glisser les charges les plus lourdes. De vieux chevaux de réforme attelés à des charrois baissaient la tête à la recherche de quelque brin de paille. Des baraques provisoires de joncs et de planches disjointes abritaient des commis, plume à l'oreille. Des gabarres à fond large et plat remontaient s'échouer sur le rivage, d'autres s'appontaient à des jetées de pierres entassées ou à des avancées formées de gabions. Sur le sol boueux et couvert de paille, des ancres couchées et des masses informes masquées de bâches ajoutaient encore à l'impression de désordre. Ces amoncellements étaient animés de cris et de rires, de jurons et des grasses injures des portefaix. Des gagne-deniers proposaient leurs bras, des marchands, et même un vendeur d'eau de coco, hurlaient leurs produits. Au-delà, le regard portait sur le fleuve agité, verdâtre et limoneux à la fois. La Seine était sillonnée de bateaux dont beaucoup faisaient la navette entre les deux rives. Les cris perçants des mouettes toujours en mouvement ajoutaient une touche de vérité à ce tableau presque maritime. Nicolas se tourna vers l'aval ; le contraste était grand avec la rive droite pavée. Sur la rive gauche, entre le Palais Bourbon et l'élégant quai des Théatins, le port de la Grenouillère couvert de boues et d'immondices abritait des chantiers et d'infâmes masures. Du côté du Pont-Royal, la galiote de Saint-Cloud abordait maladroitement dans les remous du fleuve, ramenant les Parisiens de leur promenade dominicale. Vers la gauche, tout était splendeur. Dans la lumière bleue de cette fin d'après-midi, la perspective, comme une immense fresque, frappait le regard ; le Louvre, la Samaritaine et son pavillon, le Pont-Neuf, la pointe de la Cité, le cheval de bronze, la flèche de la Sainte-Chapelle et au fond les tours de Notre-Dame. Cette accumulation de beauté lui serra le cœur. Les ombres déjà s'allongeaient et le froid piquait plus vif.
    Il reprit son chemin pour aller se perdre dans les vieilles ruelles de la Cité. Après le Marché-neuf, il rejoignit le Pont-au-Change par les rues de la Vieille Juiverie et de la Pelleterie. Il envisagea une échoppe de joaillier qui ne respectait point le repos dominical ; il y entra et s'entretint longuement avec l'artisan. Alors qu'il en sortait, une fille, quasiment une enfant encore, le raccrocha dans l'obscurité tombante. Il se dégagea avec douceur. «  Le môssieu , dit-elle avec l'accent du faubourg, la voulons pas tromper sa belle !  » Il s'arrêta quelques pas plus loin, interdit. Quelque chose dans cette simple phrase l'avait frappé. Il se remit en marche pour s'arrêter aussitôt sous un réverbère, pour consulter son petit carnet noir. Il le feuilleta avec une sorte de frénésie. Il paraissait saisi d'une impression soudaine, inattendue, de celles qui vous frappent d'autant plus brutalement qu'elles déchirent en un instant le voile d'un secret et, donnant à tout un visage imprévu, inversent les propositions et démasquent la vérité. Il hâta le pas et se précipita au Grand Châtelet. Il descendit dans la cellule d'Emmanuel de Rivoux qui, en dépit du billet de l'amiral d'Arranet, se refusa obstinément à répondre à ses questions. Nicolas remonta au bureau de permanence, fit appeler des exempts par le père Marie. Deux voitures quittèrent bientôt la vieille

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