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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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apparaît ; c'est l'homme idoine et l'innocente candeur de Madame Adélaïde fait le reste. Voilà le piège tendu et refermé. Tout se sait à la cour en l'instant et la nouvelle court les salons. Le Baron de Golz, ministre de Sa Majesté prussienne à Paris, qui a reçu le signalement de l'objet, prend connaissance de la rumeur. Il se manifeste. Le scandale est prêt à éclater. Le nom de Sa Majesté est mêlé à une sordide affaire de recel.
    — Mais, dit le roi, le roi Frédéric en est-il informé ?
    — Rien n'est moins sûr. Ce genre d'affaire appelle le secret et ne parvient pas à la connaissance des souverains. Seul le résultat final compte.
    — Oui, oui, dit le roi, regardant Sartine, cela me semble assez fréquent et donc plus que probable.
    — Quoi qu'il en soit il faut parer le coup. Et d'abord, que devient l'objet du litige ?
    — Entre nos mains, en lieu sûr.
    — Bon, dit Vergennes. Je recevrai le baron de Golz avec lequel je jouerai la surprise et la plus grande méconnaissance ; il y a toujours plaisir à feindre la bête. Je lui affirmerai avec force et détails des plus convaincants que le présent de Madame Adélaïde – il sera proposé avec insistance de le lui présenter ce qu'il sera contraint de repousser – est bien une flûte certes, mais d'un modèle en tous points dissemblable de celui qu'il prétend avoir été dérobé. Oh ! de l'ivoire ? De narval, croyez-vous ? Non d'éléphant. Canne ? Plutôt un sceptre du roi d'Angola rapporté par un commerçant portugais. Que sais-je encore ? Pour faire bonne mesure, nous insinuerons que le ministre de Sa Majesté prussienne pourrait avoir été victime d'une machination visant à creuser le fossé entre Versailles et Potsdam….
    Le roi riait de bon cœur de voir son grave Vergennes mimer froidement la scène.
    — …Il ne sera peut-être pas convaincu et persuadé par nos propos, mais placé dans l'obligation de s'en satisfaire car on aime mieux perdre en secret que de passer pour dupe sans l'être. Pour la suite, il serait opportun que l'objet réapparût dans les cabinets du roi de Prusse… d'une manière ou d'une autre. Ce qu'un agent d'un secret étranger parvient à faire, il ferait beau voir que l'un du nôtre ne le réussît point !
    — Nul, dit Sartine en précipitation, ne serait mieux à même pour remplir cette délicate mission que Ranreuil, lui qui a déjà si bien démêlé le dessous de ce tour.
    — Monseigneur, dit Nicolas, je suis aux ordres de Sa Majesté, mais auparavant une autre question se doit d'être réglée.
    Sartine, sur le point de répliquer, fut interrompu par le roi.
    —  Les Dieux soutiennent des avis différents … Notre souhait est que Ranreuil nous apporte au préalable les lumières indispensables sur des événements dont j'ai entretenu notre lieutenant général de police et dont vous, Sartine, devriez être le premier à souhaiter connaître le dénouement que, messieurs, le marquis de Ranreuil dévoilera dès qu'il sera en mesure de le faire, à vous et à M. Le Noir. Alors, et seulement, il pourra s'attacher à conclure au mieux des intérêts du royaume cette malheureuse affaire de flûte.
    Pour la troisième fois il ouvrit son livre et ne leva plus les yeux. L'entretien était terminé. À son habitude, Vergennes se retira en hâte sans saluer personne. Sartine, qui paraissait se contenir, s'adressa à Nicolas en le dépassant dans le cabinet du conseil.
    — Nous n'en avons pas fini ensemble, lui jeta-t-il, sans se retourner.
    Nicolas salua.
    — Je demeure à votre disposition et suis, monseigneur, votre très humble et obéissant serviteur.

XI
    LE THÉÂTRE D'OMBRES
    C'est ici que la mort et que la vérité élèvent leur flambeau terrible.
    Baculard d'Arnaud
    Sur le chemin de Paris, rencogné à son habitude, Nicolas réfléchissait. Il demeurait sous le coup de ce conseil de guerre chez le roi, comme abasourdi. Quel chemin parcouru depuis les jeux avec les galopins de son âge, pieds nus dans ses galoches, sur les bords vaseux de la Vilaine entre Tréhiguier et Pénestin ! Dans sa modestie native, il en éprouvait un frisson d'effroi. Il comprenait aussi que cette position privilégiée lui appartenait désormais en propre, qu'il ne la devait à personne, qu'il n'était plus l'ombre portée de telle ou telle puissance tutélaire. Il percevait avec tristesse qu'un lien s'était rompu avec Sartine. La chose en fait menaçait depuis longtemps, mais il n'avait

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