Le cadavre Anglais
enterré ?
— Je l'ignore, dit-il en agitant la main dans une direction incertaine.
— Aurait-on une chance de récupérer le cadavre ?
Il les regarda effaré.
— Ben celle-là, je la crois pas ! C'est la première fois qu'on me la chante !
Leur air le convainquit que la question était sérieuse.
— Faudrait trouver la bonne fosse… Il y en a au moins six possibles. Resterait à creuser et à triturer le sol gelé… Et vous oubliez la chaux vive qui attaque et détruit !
— Le bonhomme a raison, souffla Bourdeau à l'oreille de son ami. Nous voici piégés ; il n'y a plus rien à faire ici. En vérité le coup a été mené de main de maître. Sans doute te savait-on éloigné, te surveillant. Allons, on ne se joue pas impunément de nous sans être un jour confondu. Nous avons la chance de posséder un portrait autrement vivant que de pauvres restes.
Nicolas se résigna. Il offrit un écu double au gardien du cimetière qui les accompagna de ses bénédictions jusqu'à la voiture. Que signifiaient tous ces événements ? Une puissance mystérieuse tirait-elle les ficelles d'une intrigue montée en vue de buts inconnus ? Qui était le coopérateur de ces désordres, et comment le démasquer ? Il sentait monter les périls avec d'autant plus d'appréhension qu'il ignorait de quelle manière les affronter.
— La raison impose que nous ne voulions que ce que nous pouvons. Aux portes fermées correspondent d'autres portes, ouvertes celles-là.
— Vous voilà Noblecourisant , dit Nicolas avec un pauvre sourire. Puisque nous sommes contraints d'abandonner ce cadavre, profitons de notre présence dans ce quartier. Je veux te faire connaître un curieux personnage. Ce M. Rodollet à qui M. de Séqueville m'adressa naguère.
— Le secrétaire du roi à la conduite des ambassadeurs ?
— Lui-même. Le personnage en question, écrivain public et calligraphe, pourrait nous être utile pour déchiffrer le papier trouvé dans la cellule du Fort-l'Évêque. Il bénéficie de grands et discrets appuis et n'est pas simplement ce qu'il prétend être.
— Et le crois-tu enclin à nous apporter son aide ?
— Je le sais méfiant, mais nous nous connaissons.
Leur voiture pénétra la rue Scipion, étroite et tranquille. La neige s'y entassait retenue et quasi arrimée par les nombreuses bornes de granit serrées les unes contre les autres pour protéger les murs et les entrées du frôlement assassin des voitures qui s'y aventuraient.
— Sens-tu cette bonne odeur de fournée chaude ? On se croirait à l'hôtel de Noblecourt !
— C'est que, dit Bourdeau, ravi d'apprendre quelque chose à ce connaisseur de Paris, la maison Scipion 75 est aujourd'hui la boulangerie générale des hôpitaux de la ville.
Nicolas reconnut la petite maison de l'écrivain public, jouxtant un atelier d'imprimerie. Ils entrèrent, saisis aussitôt à la gorge d'une pénétrante odeur d'encre et de vernis. Le gros homme en bonnet gris vêtu d'une chasuble rentrée dans sa culotte noire parut au commissaire ressurgi d'un passé à la fois proche et lointain. Trois années s'étaient déjà écoulées depuis leur première rencontre. Il les jaugea d'un œil pointu.
— Monsieur, dit Nicolas, sans doute me remettez-vous ? Je suis un ami de M. de Séqueville.
— Oui, monsieur le marquis. Vous me fites l'honneur d'une consultation début 74 pour une lettre et un testament forgés. La chose est très présente à mon esprit.
Nicolas fut surpris que l'homme lui donnât sa qualité. Il se souvenait s'être alors présenté comme le commissaire Le Floch. Mais de M. Rodollet rien, ne semblait-il, ne devait étonner.
— Je crois devoir une nouvelle fois faire appel à votre concours.
— Et monsieur ? dit-il en lançant un regard peu amène à Bourdeau.
— L'inspecteur est mon adjoint et mon alter ego.
— Comment se porte M. de Sartine ?
— Il m'a reçu avant-hier à Versailles. La marine l'accapare par ces temps difficiles et redoutables.
— Les temps sont mauvais selon que les hommes sont justes ou injustes. Voyons, quelle est la pièce, cette fois-ci ?
Nicolas lui tendit la mince bande de papier.
— Il paraît que cela pourrait être un message codé ou chiffré. Cela est-il dans vos cordes, vous qui décryptez l'incompréhensible ?
M. Rodollet se mit à rire.
— Vous me flattez. Non, nous sommes des instruments à corde que la nature sollicite selon qu'elle tend plus ou moins
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