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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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qu’accentuait une voix d’où sortaient des sons rauques et inarticulés.
    — L’enfant chéri de la colonne était Francisca, dont les amours avec un « Jules » édenté, marqué au front de la « croix des vaches » (c’était un signe gravé au couteau, attestant la fidélité du « Jules ») faisaient l’attendrissement de ses camarades. Elle nous tenait régulièrement au courant de ses ébats sentimentaux. De toutes, elle était d’ailleurs la plus civilisée et n’était pas dépourvue d’esprit. Du haut de son échelle, Francisca jouait la comédie en se servant de son pinceau ou de sa brosse comme partenaire. Il y avait également la grosse Hida, que j’avais baptisée « Hida la terreur », sale, voleuse et brutale, mais qui, dans les circonstances tragiques de la fin, fit tout de même preuve d’une certaine compréhension. Elles étaient mes co-équipières les plus marquantes.
    — Après l’entrée à la colonne de Suzanne Legrand (la première Française), Christiane de Cuvervilley avait été embauchée par les soins d’Hélène. Nous étions donc trois Françaises. Quand nous avions la chance de travailler sur le même chantier, nous ne nous souciions guère des interpellations haineuses de nos co-équipières. Nous chantions, parlions, et le curieux bétail humain qui travaillait à nos côtés faisait l’objet de discussions psychologiques interminables. Il est de fait que, même dans les couloirs du Palais de Justice parisien, où traînent cependant les éléments les plus déshérités de la société, je n’avais jamais rencontré de tels sujets. Nous tenions bon toutes les trois. Nous travaillions mieux qu’elles. Le Meister nous avait tout à fait adoptées.
INDUSTRIEHOF
    Un camp (lxxiii) dans le camp. Rien ne vit, sauf les femmes transformées en machines. Les blocks de bois, les ateliers de ciment, les murs en ciment aussi, la terre recouverte de mâchefer et de sable : pas une plante, pas un arbre, pas un oiseau sauf ces énormes corbeaux gris et noirs, croassant sans cesse. Au loin, derrière les murs de ciment, quelques sapins démantelés et toujours tourmentés par le grand vent. La seule chose que nous avions souvent le loisir d’admirer était la beauté du ciel ; les levers et les couchers de soleil, l’aube ou le crépuscule sont les seules choses superbes de la région.
    Dans ce camp « Industriehof », il y avait cinq blocks. Les 1, 2, 3, et 5 étaient des blocks pour les ouvrières, le 4 était celui des « Kolonaufseherin » (chefs de chaque atelier), ainsi que les chefs de « bande » de travail. Chaque block était séparé en cinq chambres ; dans chacune 120 à 140 femmes, deux à trois tabourets, une table juste pour le décor. Notre vie allait se dérouler ainsi : appel debout, travail, assise ou debout selon l’emploi, le reste du temps à quatre pattes, comme « l’ancêtre » d’après Darwin, sur notre paillasse (nous y habiller, y manger, y dormir, y loger nos souliers, nos habits, etc.). Tout devait disparaître pendant notre sommeil de jour, car s’il y avait une visite officielle d’un « vert de gris quelconque », il fallait que tout fût net (toujours le tape à l’œil). Notre cher chef de chambre, « Marichou », nous disait aimablement : « Mesdames, décrochez tout ce qui pend » lorsque nos manteaux étaient accrochés à un clou, tandis que Russes et Allemandes pouvaient tranquillement laisser leurs hardes accrochées.
    Les heures de travail sont restées les mêmes jusqu’en janvier 1945. Je dois vous donner un aperçu du travail en 1943 quand je fus prise d’office pour la confection. Je fus désignée pour l’atelier n° 2 où je devais rester jusqu’en mars 1945. On me mit d’autorité à une machine à coudre électrique (que je n’avais jamais vue) et, sous la menace de coups, je dus m’efforcer à réussir le travail demandé. Je devais monter les poignets des chemises d’homme pour prisonniers, 240 manches de nuit ou de jour, la quantité augmenta presque chaque mois. En octobre 1943, je mis des poches à des capes blanches destinées aux soldats de la Wehrmacht au front russe. Je devais faire 120 poches ayant chacune deux rabats dans un tissu de soie artificielle. À partir de décembre 1943, on me montra à monter des manches de robes et de vestes pour prisonnières, les fameux uniformes rayés. Les deux premiers mois je dus monter 150 manches par nuit ou par jour, la quantité

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