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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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tissu où la trame tenait encore. J’étais assise à une table d’Allemandes, avalant avec la poussière les propos orduriers de ces filles. Deux tables plus loin travaillait Geneviève de Gaulle, toujours courageuse et chic. À propos d’elle, une petite histoire touchante : avec nous travaillait une brave Lorraine, âgée de quelque soixante ans. Elle offensait souvent la grammaire française, mais elle avait un cœur patriote. Apprenant que cette petite ouvrière pâle et frêle était la nièce du Grand de Gaulle, la femme vint lui offrir spontanément sa soupe. Geste naïf mais combien généreux qu’appréciera celui qui connaît la valeur d’une soupe de là-bas. J’ajoute que Geneviève fut très touchée, mais ne l’accepta pas.
    Binder, qui dirigeait l’atelier le plus important, était un ancien tailleur, entré dans la S.S. en 1933. Il restera comme l’exemple type du S.S. fou, brutal, sadique.
    — Binder (lxxvi) était rude et brutal envers les femmes de l’atelier. Il nous battait tous les jours et ne semblait se calmer qu’à la vue du sang. Un jour il a tellement rossé une Polonaise qu’il a fallu emmener la malheureuse directement à l’hôpital. Elle n’est jamais revenue et l’on nous a dit qu’elle était morte. Quand nous n’abattions pas assez de besogne, il nous enlevait nos petits morceaux de pain, notre seule nourriture pour onze heures de travail, et il nous faisait coudre debout pendant des heures entières.
    — Parfois il frappait les femmes avec un tabouret et je l’ai vu en tirer par les cheveux et les rosser. Quand il apercevait une femme la tête inclinée – nous étions tellement sous-alimentées et épuisées que cela arrivait souvent – il lui tapait le crâne contre la table. Il nous retirait également nos vêtements et quand il nous laissait toutes nues, il prétendait qu’il devait s’assurer que nous ne cachions pas de morceaux de tissu sous nos habits, car à cette époque nous n’avions pratiquement rien à nous mettre sur le dos.
    — Une autre jeune Polonaise de l’atelier de Binder avait au bras une plaie ouverte causée par la dévitamination. Binder refuse de la laisser aller à l’hôpital et lui dit en arrachant son pansement : « Tu n’es pas malade du tout. »
    — La fille s’écroule et quand elle se relève il lui lance de toutes ses forces un coup de poing en pleine figure. Elle s’affaisse sous le choc et il lui martèle tout le corps de coups de pied.
    — Binder frappait les femmes à coups de ciseaux, ou leur lacérait le visage avec les boutons de métal des tuniques. Il a fait mourir un nombre incalculable de détenues en les obligeant à travailler quand elles n’en avaient plus la force ou en les laissant dehors toutes nues sous la pluie battante, souvent pendant plus d’une heure.
    Une nuit (lxxvii) que nous peinions pour réaliser quelque peu le pensum exigé, Binder, les yeux injectés de sang, se jeta sur une vieille dame polonaise, la frappant sauvagement, sans doute parce que son travail lui avait déplu.
    N’étant embauchée dans ce « Betrieb » que depuis quelques jours, je n’étais pas encore habituée à ce genre de traitement et le fait de voir cette jeune brute s’acharner des poings et des pieds sur la pauvre dame écroulée, me bouleversait et me révoltait profondément. Nous n’avions pas le droit de nous arrêter de travailler et de faire cesser de fonctionner les machines et nous savions que le rendement était sans cesse contrôlé. Cependant devant une telle cruauté, nos sentiments s’extériorisaient ouvertement et chacune de nous exprimait la révolte de son cœur.
    « Vreselijk ! » murmurait Rika, la grande Hollandaise.
    « Salaud ! Abject puceron ! », répétait Titine, et toute une gamme d’épithètes puisés dans son argot du Nord se succédaient sans relâche.
    Vida, la douce Yougoslave, s’était un moment caché les yeux derrière les mains et me dit émue : « Es konnte meine Mutter sein. »
    Et le regard limpide de Wanda, ma complaisante compagne polonaise était devenu dur et farouche et elle me chuchota : « Kommt anders, wird aufgehängt ! »
    Yvonne de Charleroi pleurait doucement.
    Tamara, l’Ukrainienne, avait posé sa main sur mon bras et me dit : « Weina conchista, tsepajede da moï. »
    Toutes, nous étions sidérées, glacées. Était-ce possible, cette brutalité, cette violence vis-à-vis de cette dame âgée aux cheveux blancs dont

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