Le camp des femmes
celui de la peinture. Un Meister dirigeait les travaux techniques qu’ordonnait « le chef supérieur des travaux du camp ». Une voiture était affectée à la colonne. L’avantage considérable de cette colonne était que, quand les travaux à effectuer avaient lieu à l’intérieur du camp, aucune gardienne n’était présente. La surveillante était seule responsable. Or celle-ci restait le plus souvent à l’atelier et ne se rendait que de temps en temps sur le chantier, en sorte que la liberté d’action était assez étendue ; il en résultait inévitablement des abus et des punitions. Le deuxième avantage de la colonne de peinture était l’attribution quotidienne à chaque Stück d’un litre de lait pour éviter l’intoxication éventuelle que pouvaient causer les émanations de la peinture. On ne pouvait montrer plus d’attention à notre égard…
— Dès que notre camarade Suzanne eût été embauchée, Hélène en dépit des difficultés internes qui en résultaient pour elle, n’eut plus qu’une idée : recruter d’autres Françaises.
— À la fin de septembre, elle me proposa de me prendre parmi ses ouvrières, ce qui ne pouvait se faire que clandestinement, car le Bureau du travail lui était hostile et s’opposait à toute nouvelle entrée d’une non-Allemande.
— Le vie de « disponible » devenait de plus en plus aléatoire ; les transports redoublaient. D’autre part, le travail saisonnier qui s’offrait à moi allait entrer dans la saison morte. Si donc, d’un côté, j’aliénais ma liberté, de l’autre côté, j’allais bénéficier de l’inactivité des mauvais jours et du grade de travailleuse fixe. Il n’y avait plus que treize Stücke dans la colonne – quelques Bellpolitik étaient de temps à autre rendues à leur foyer. Enfin le seul bénéfice de ce travail allait aux prisonnières, dont les blocks, grâce à notre barbouillage, seraient un peu moins sordides.
— Hélène me fit inscrire secrètement au Bureau du travail. Je revêtis une salopette, un gros tablier de toile, je m’emparai d’un seau et d’un pinceau et je fis mon entrée à la colonne.
— Nous étions au mois de septembre. Les Allemandes, mes futures camarades, me firent un accueil très froid et projetèrent immédiatement de m’expulser. Elles complotaient à longueur de journée, prétendaient que mon inscription était illégale, menaçaient de me dénoncer, et le mot de Strafblock revenait périodiquement au cours de leur conversation, en guise d’intimidation. Au cours du travail, ou bien elles m’évinçaient complètement sous prétexte d’incapacité, où elles tentaient des opérations plus hardies : une poutre me tombait tout d’un coup sur la tête, un échafaudage, solidement arrimé, s’effondrait brutalement, une échelle se dévissait au bon moment… Mais le Dieu des innocents veillait et me protégeait. Je me raccrochais toujours à temps et évitais de justesse le seau qui se renversait comme par miracle.
— Je commençai ma carrière aux W.C. et aux lavabos du Betrieb. Je fus naturellement chargée du travail le plus fastidieux : je faisais les « raccords » . Les Allemandes s’absentaient pendant de longs moments, et, le reste du temps, elles demeuraient immobiles sur leur échelle sans donner un coup de pinceau. Si je me laissais aller à me reposer quelques minutes, elles vitupéraient, criaient, menaçaient. Je leur inspirais vraiment peu de sympathie. J’avais l’impression de me trouver en présence d’animaux féroces sur lesquels aucun raisonnement ne pouvait avoir de prise. Quand j’étais trop exaspérée par leurs hurlements, je criais plus fort qu’elles et, bien que je leur fusse inférieure en gueule, elles se calmaient pour un moment.
— Le chef de bande s’appelait Erna, un véritable bandit. Il était impossible de ne pas imaginer qu’elle n’eût pas tué père et mère. Hors du bagne, elle était fermière. Une servante d’auberge appelée Hilda, ne se lassait pas de raconter ses aventures grivoises avec force démonstrations. Une future prostituée, Lisbeth, âgée de dix-huit ans, portait sur son visage les stigmates de tous les vices. Elle fredonnait constamment des airs langoureux. Elle était l’adjudant d’Erna, qui la chargeait des missions de confiance, vols, passage à tabac, etc. Une sombre brute, Lotte, me détestait particulièrement ; elle avait une physionomie basse et bestiale
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