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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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déposés en entrant, je distingue dans l’ombre, deux corps nus…
    — Violette, regarde !
    Nous nous approchons, ce sont deux femmes mortes.
    Nous voulons appeler, tapons sur la porte, nul ne répond… alors résignées, nous commençons notre travail.
    Violette s’en tire fort bien, mais j’ai beau m’appliquer, c’est moi que je peins, plus que les murs : j’ai l’air d’une sauvage !
    Sans nous soucier des cadavres, nous bavardons… À midi, l’Aufseherin revient et est satisfaite du travail.
    Violette lui montre les deux corps.
    — Ce n’est rien, un oubli.
    Et les poussant du pied, elle se bouche le nez, c’est déjà la pourriture !…
    Après la soupe, nous revenons dans la baraque et nous chantonnons en peignant, heureuses d’avoir échappé aux autres corvées…
    Et les deux mortes ?… Enlevées !…
    Pendant deux jours, grâce à nos talents d’artiste… peintre, nous restons dans la baraque, tandis que nos camarades continuent à transporter des meubles et à bêcher la terre.
    Nous les trouvons le soir fort agitées. Mania nous raconte : La générale L… revenant au camp à midi avec la colonne, voyant un groupe de Françaises partir pour un transport et paraissant désespérées, leur a crié : « Courage, c’est bientôt fini, ils sont perdus…» Le commandant du camp, se trouvant tout près, l’a entendue : il l’a empoignée et a commandé aux Aufseherinnen de l’enfermer au Strafblock.
    Or, la fille de la générale vient d’arriver, elle ne pourra même pas voir sa mère.
    — Au cours (lxxii) de cet été 1944, je fis la connaissance de la surveillante de la colonne de peinture. C’était une Allemande « rouge », internée au camp depuis trois ans. De son métier, elle était dessinatrice. Elle parlait un français très pur. Elle s’appelait Hélène. Les raisons de son arrestation étaient assez mystérieuses et résultaient apparemment d’un antinazisme actif. Elle avait beaucoup voyagé et avait une culture assez étendue. Elle avait peut-être trente-cinq ans.
    — C’était en fait une aventurière, séduisante par certains côtés, notamment par un charme physique indiscutable, que tempéraient une rudesse très germanique, un caractère assez violent et capricieux et un penchant exagéré à admirer les défilés impeccables des appels du travail…
    — Quel était exactement son rôle au camp ? Beaucoup de bruits, vrais ou faux, circulaient à son sujet. Un jour, l’une de nos camarades fut, par hasard embauchée dans la colonne. Ce fut à la fois une innovation et une révolution, car la colonne de peinture, la Malerkolonne (qui comprenait en principe vingt Stücke), avait jusqu’alors été réservée aux Allemandes « noires » ou aux Bellpolitik. Le travail étant considéré comme schwer arbeit (travail dur), on recrutait des prisonnières d’apparence solide et robuste. Ces Allemandes étaient de véritables monstres, d’une carrure énorme et d’une grossièreté soldatesque. Aussi, quand elles virent une française s’immiscer dans « leur » colonne, l’accueillirent-elles fort mal. Au contraire le chef de colonne apprécia tout de suite cette nouvelle recrue, la première prisonnière normale qu’elle eût jamais eue sous ses ordres. Elles devinrent rapidement deux très bonnes amies, à la fureur chaque jour croissante des autres peintres.
    — Cette colonne n’était pas une colonne de tout repos : il était en effet de tradition qu’elle finît tout entière au Strafblock soit que ses membres eussent causé quelque scandale à la suite de rencontres avec des prisonniers mâles, soit qu’elles eussent été prises en flagrant délit de vol, soit que leurs mœurs de « Jules » fussent un peu trop ostentatoires.
    — Les travaux étaient très variés : pendant les belles saisons elles peignaient l’extérieur des blocks, le « vert » comme on disait, ou bien l’intérieur des blocks, les cuisines, les douches, et surtout les blocks de malades dont le nombre allait toujours croissant ; ou bien elles exécutaient des travaux plus délicats, comme la peinture des salles d’opération, des appartements des S.S., ou, au contraire, des travaux plus grossiers, comme le badigeonnage à la chaux d’écuries ou de caves. En outre, elles pouvaient être chargées de transporter des fardeaux et d’effectuer des besognes annexes, commandées par le menuisier ou le maçon, dont les ateliers attenaient à

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