Le camp des femmes
aller dehors, quatre ou cinq blocks plus loin, pour trouver une grande fosse bordée de chaque côté d’une planche sur laquelle nous ne pouvions nous asseoir tant elle était souillée. Il est difficile d’imaginer ce lieu sans l’avoir vu.
Le lendemain matin, vers trois heures et demie, on vint nous faire lever toutes pour l’appel, ceci à notre grande stupéfaction, car on nous avait dit que cette terrible corvée nous serait épargnée dans ce nouveau camp.
Je restai une dizaine de jours dans ce block et durant ce temps je vis mourir dans la salle où je me trouvais vingt-cinq de mes compagnes, dans des conditions horribles. Étant épuisées par la faim et la dysenterie, elles ne pouvaient bouger et faisaient sous elles – tout au moins celles qui n’avaient même plus la force de faire dans leur gamelle. L’atmosphère était pestilentielle car on n’ouvrait jamais les fenêtres à cause du froid.
Mais je devais voir encore pire au block 6, où je fus envoyée par la suite avec environ cinq ou six cents femmes.
C’était une immense salle où régnait un violent courant d’air, car de nombreuses vitres manquaient aux croisées ; les paillasses à terre étaient si rapprochées qu’il était impossible de circuler sans marcher les unes sur les autres. La nuit, on ne pouvait dormir à cause du va-et-vient continuel des femmes se levant pour sortir et qui, la plupart du temps, ne pouvant y parvenir, s’écroulaient dans l’obscurité sur leurs voisines et les souillaient au passage, ce qui provoquait des échanges d’imprécations entre les prisonnières et, dominant ce tapage, les vociférations et les menaces des Lagerpolizei (police du camp) ou des S.S. Beaucoup de prisonnières avaient résolu la difficulté en se soulageant dans leur quart ou leur gamelle qu’elles vidaient par les fenêtres ou calaient sous leurs paillasses en attendant le jour.
Pendant la journée, toutes celles qui pouvaient encore tenir debout posaient dehors en d’interminables et meurtriers appels, puis, de longues heures encore, défilaient pour recevoir la maigre soupe de rutabagas et ensuite le pain.
Nous n’avions pour toute boisson qu’un quart d’ersatz de café, le soir, et naturellement, il fallait encore faire la queue pour l’obtenir. Il n’y avait pas d’eau dans le block pour se laver et nettoyer les gamelles. La vermine régnait en maîtresse ; le sol, les paillasses, les vêtements des femmes grouillaient littéralement de poux.
Dans la salle, il y avait un coin où on laissait mourir les prisonnières qui ne pouvaient plus se mouvoir ; elles finissaient là, sans que personne s’en occupât et, matin et soir, la « colonne des morts » venait enlever les cadavres.
Au cours des appels, les S.S. choisissaient des femmes au hasard. On leur enlevait leur mince bagage, on inscrivait leur numéro au crayon à l’aniline sur le bras et avec force coups et jurons on les entassait dans des camions qui revenaient à vide environ dix minutes plus tard. Par la suite, j’ai appris que ces malheureuses étaient parties pour la chambre à gaz. Tous les jours, ces expéditions avaient lieu. Un jour, une Aufseherin lasse de voir certaines femmes, celles qui ne pouvaient pas marcher, demeurer sur leur grabat, au lieu de se rendre comme les autres à l’appel, ordonna qu’on les envoie au Revier. Je faisais partie de ces impotentes et une de mes camarades vint me prévenir que dans ce Revier on achevait les malades par des piqûres. Elle m’exhorta à faire l’impossible pour éviter d’y aller. Mais j’étais dans l’incapacité absolue, malgré ma volonté, de me traîner jusqu’au dehors du block et, d’ailleurs, peu m’importait de finir par une piqûre. Je préférais d’ailleurs cela à la chambre à gaz.
C’est alors que je vis pour la première fois Vera Salveguart, la Schwester Vera comme on l’appelait plus communément, l’infirmière responsable du block. Elle fit des sélections parmi les malades qu’on lui envoyait et elle nous dissémina dans plusieurs petites chambres dont se composait le Revier. Celui-ci, au premier abord, avait un aspect assez engageant, comparé au block infect que je venais de quitter. J’aperçus même deux beaux lavabos et deux W.C. en céramique blanche. J’allais pouvoir enfin me laver un peu. Le block était divisé en petites chambres de sept à huit châlits, soit une trentaine de femmes seulement dans chacune. Toutes étaient toujours
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