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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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cuir en la traitant de « schwein ». J’assistai, impuissante, à cette horrible scène. La Schwester survint et Paula la mit au courant de ce qui se passait.
    — « C’est bien, dit Vera, on va la mettre dans la Kammer (petite salle attenant à la Tagesraum où l’on plaçait les cadavres en attendant de les envoyer au crématoire), et ce soir, je lui ferai une piqûre. »
    Paula poussa brusquement la pauvre femme qui résistait et suppliait dans cette antichambre de la mort.
    Le soir, en effet, je vis passer la Schwester Vera, une seringue et un garrot à la main. Elle pénétra dans la Kammer. Aussitôt, j’entendis de nouveau des cris déchirants de M me  Ridondelli :
    « Non, non, je ne veux pas… pas de piqûre… par pitié…» Puis elle hurla : « Irène, Irène… on m’a tuée. » En repassant devant moi, Vera, sortant de la Kammer, me lança :
    « C’est aussi bien qu’elle meure ainsi… elle était perdue, de toutes façons…»
    Voilà l’excuse qu’elle trouvait à son forfait. Et je ne pouvais rien faire ni rien dire. Je m’attendais à subir le même sort, un jour ou l’autre. Jusqu’à ce jour, elle nous épargnait, quelques prisonnières et moi, car nous lui étions utiles. Certaines femmes, couturières de métier, se voyaient astreintes à lui confectionner des robes ou de la lingerie avec l’étoffe qu’elle volait aux magasins du camp ; et moi… elle me faisait chanter, car elle trouvait ma voix agréable…
    Les exécutions se poursuivaient à une cadence accélérée et des centaines de femmes périrent ainsi. Vera, armée d’une pince, récupérait l’or des couronnes et des dents qu’elle extrayait de la bouche des cadavres.
    Enfin, le 5 avril, l’ordre arriva d’évacuer le Jugendlager et de ramener les quelques survivantes à Ravensbrück.
    Je n’aurais jamais cru que je puisse éprouver une telle joie à revoir ce camp que j’avais quitté pleine d’espoir en un sort meilleur.
    Quand je me suis retrouvée au Revier, entre les mains d’une doctoresse française, cela m’a semblé le Paradis (civ) .

XXII
LA MORGUE
    Un abri (cv) sous terre, en ciment armé, quelques marches pour y descendre et, la porte ouverte : une odeur de désinfectant, mêlée à celle des cadavres amoncelés.
    Une vision de cauchemar…
    Un charnier sans nom, des corps nus ou, plutôt, des squelettes, de véritables momies sans bandelettes, jaunes parcheminées ou violettes et bleues, souvent déjà tachetées de vert… des ventres tuméfiés, les os du bassin si apparents qu’ils avaient percé les hanches… un bras coupé, une jambe sanguinolente, comme une viande de boucherie.
    Sur la table d’autopsie, un cadavre ouvert… ne saignant même pas… une doctoresse, si cela pouvait s’appeler ainsi…, coupant, déchiquetant et extirpant, à bout de bras, foie, estomac, poumons, cœur, toute cette affreuse tripaille, sortie au grand air, pour voir ce qu’il y avait dans le macchabée ; puis, l’inspection terminée, rejetant tout cela dans le pauvre ventre béant et recousant en vitesse ce morceau de « viande » humaine.
    Les rictus affreux, les yeux grands ouverts, les expressions crispées des visages, les dents découvertes qui semblaient mordre la terre, car les corps étaient jetés pêle-mêle, n’importe comment.
    Des femmes mortes en couches, avec le bébé encore attaché à elles par le cordon ombilical, le petit cadavre entre les jambes, assis comme une poupée et les yeux ouverts aussi.
    Tout cela en plusieurs tas, pieds de l’une dans la bouche de l’autre, mains tordues, jambes en l’air ou recroquevillées, tout cela gardant, dans l’ultime défense, l’expression d’une souffrance affreuse, d’une détresse sans nom.
    Les visages, trop souvent très jeunes, semblant quelquefois presque souriants, étaient bien rares ; et, sur toutes les poitrines, on découvrait le numéro écrit à l’encre, seul nom qui restât, laissant à la pauvre dépouille ce semblant d’identité.
    Nous n’étions qu’un morceau… ein stück, disaient les S.S.
    Ce spectacle innommable était vraiment une vision d’enfer.
    On ne pouvait même plus, après cela, avoir peur de quelque chose, toute sensibilité semblait annihilée : on évoquait sans efforts les vastes charniers des époques barbares.
    Nous nous sentions bien peu de chose, dans ce camp maudit ; mais, dans cette morgue, sous terre, éclairée par une lampe électrique qui jetait son éclat

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