Le camp des femmes
camion s’est dirigé vers le crématorium. C’est tout ce que nous recueillons de sûr, nous maîtrisons mal notre chagrin.
LE CAMP DE JEUNESSE
Une (cii) simple circulaire signalant sans commentaire que la mortalité était trop faible parvint dans les bureaux dans la seconde moitié de 1944 (mais je ne peux exactement préciser la date, car à l’époque je ne prêtais pas au fait en question toute l’importance qu’il méritait). Elle était, cependant, beaucoup plus forte qu’au moment de notre arrivée, à cause de transports de Juives hongroises et des évacuations de camps et prisons de l’Est qui avaient commencé, et qui amenaient au camp des convois de femmes dans un état de misère jamais vue encore. La secrétaire qui avait vu cette lettre n’en avait tiré aucune conclusion. Je n’ai pas eu connaissance d’instructions plus détaillées parvenues à ce sujet. Peut-être le commandant en a-t-il reçu directement. La secrétaire avait ajouté que c’était la première fois qu’elle voyait un ordre de ce genre, et que son chef avait eu l’air contrarié qu’elle l’ait vu.
Un peu plus tard, la Schwester Martha vint un soir visiter les malades du block 10 et proposer un somnifère à celles qui dormaient mal. Quelques dizaines de femmes en demandèrent, dont la majorité ne se réveillèrent pas le lendemain. Les autres furent malades mais survécurent. (Inutile de dire qu’il n’y eut plus au camp personne souffrant d’insomnie.) Le docteur S.S. Treite déclarant qu’il s’agissait d’une « erreur » de dosage nous donna à réfléchir.
Vers cette époque, également, toutes les femmes malades, vieilles ou fatiguées, furent invitées à se signaler pour être envoyées dans un camp de convalescence qu’on appelait le Jugendlager, à quelques centaines de mètres du nôtre. Beaucoup le firent malgré la cruelle expérience qu’elles avaient déjà des Allemands.
Un peu plus tard (fin décembre, début janvier) on construisit un second four crématoire, et tous deux, dès lors, flambèrent sans interruption, 24 heures sur 24, sans parvenir même ainsi à brûler tous leurs cadavres, car la direction du camp fit augmenter la température des fours, afin que les crémations se fissent plus vite, au point que dans le courant de février un des fours éclata.
Or, on se souvient peut-être que, six mois plus tôt, alors que le camp de Ravensbrück était encore un camp de travail simple, un seul four crématoire était allumé deux fois par semaine pendant quelques heures à peine. La population du camp avait sensiblement diminué depuis lors (août 1944-janvier 1945), et même en tenant compte de la misère, qui était beaucoup plus grande, un seul four crématoire brûlant deux demi-journées par semaine aurait cependant suffi largement pour une mortalité naturelle.
La chambre à gaz avait commencé à fonctionner à partir de décembre.
Le camouflage des assassinats aura été, dans la perspective générale des camps allemands, la seule originalité de Ravensbrück ; il ne fallait pas risquer de provoquer des paniques qui paralyseraient un groupe industriel modèle. Donc, au moment où fut créé le Jugendlager, toutes les précautions furent prises pendant les premiers jours pour donner confiance aux malades et aux femmes affaiblies qu’on y envoyait. En particulier, le camp fut doté d’un Revier qui devait être dirigé par une doctoresse prisonnière française parfaitement honorable et connue comme telle (5-10 décembre 1944). Bien entendu, la comédie ne dura pas, car on sut tout de suite que le Revier en question n’avait ni médicaments, ni chauffage et pas même de paillasses, et que les malades qui arrivaient au camp étaient immédiatement dépouillées de leur manteau et de tous leurs lainages et obligées de rester debout dans la neige pendant des journées entières, presque sans nourriture, principes qu’on retrouve dans beaucoup de camps d’extermination et qui semblent n’avoir aucune raison d’être, car les plus malades, précisément, étaient gazées chaque soir. Ce surcroît de souffrances était donc gratuit et ne servait même pas à économiser du gaz…
Les doctoresses et infirmières, au bout de quelques jours à peine, furent rappelées au vieux camp, mais ce qui semble ahurissant, c’est que le Revier fut théoriquement maintenu, avec comme personnel médical deux S.S. dits Sanitätsdienst, nommés Rose et X… (dont le rôle
Weitere Kostenlose Bücher