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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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courant. Comment reconnaître quelqu’un au milieu de ces spectres aux mêmes yeux, aux mêmes attitudes, aux mêmes cris. Ce souvenir me hante encore aujourd’hui. Que faisait-on sur ces femmes ? Que leur donnait-on à manger, à boire ? Rien m’a-t-on affirmé car l’objectif des bourreaux était : la mort pour toutes.
EXÉCUTIONS
    Des exécutions (ci) de femmes, il y en eut, à ma connaissance, à trois reprises. Naturellement, ces massacres demeurent secrets, on en parle à ses risques et périls, on les apprend après coup, les vêtements reviennent au service de désinfection.
    Quelques semaines après notre arrivée, pour nous épouvanter, on nous met au courant : le soir, vers cinq heures, dans les hangars à l’entrée du camp, à cent mètres de nous, des Polonaises tombent fusillées – nous entendrons les coups de feu… derrière nous.
    Au début de janvier 1945, deux Tchèques, trois Russes et une Polonaise sont mises à mort : Zofia Lipinska a été exécutée un matin à l’aube. C’est l’une des plus belles figures de Varsovie, une avocate distinguée, une femme de cœur simple, avenante, très amie de la France. Stubowa au block 26, elle se dépense comme aucune autre auprès de nos malades. Oh ! elle n’est pas de celles qui collaborent avec l’ennemi. Journaliste, elle a pris une part active à la rébellion ; le Boche le sait, Zofia ne sortira pas de Ravensbrück ! Rien ne lui fait peur, elle a pourtant l’impression que la vie doit finir bientôt. Elle maîtrise sa souffrance et ses craintes pour toujours réconforter autour d’elle, elle ne recule devant aucune audace, car par elle nous captons de vraies nouvelles « magnifiques » – ce mot lui est familier, elle le prononce avec emphase et à mi-voix –, aurait-elle trouvé un contact avec l’extérieur ? En octobre 1944, Zofia est appelée au bureau politique, le commandant lui a signifié son arrêt de mort, elle ne doit plus sortir du block pour rester à la disposition de ces messieurs. Les mois passent, en janvier on l’emmène au Bunker ; Zofia garde un doux sourire, l’Allemagne sera vaincue. À la nuit, dans le hangar des patriotes, des femmes se déshabillent devant le peloton d’exécution.
    Quinze jours plus tard, le 18 janvier 1945, le block français prend le deuil. Dès l’appel du matin, Pierrette Salinat et Marie-Louise Cloarec, nos petites parachutistes, ainsi que Suzy et Jenny, leurs compagnes radio, officiers de liaison en mission non loin de Paris, arrêtées et incarcérées à Fresnes, puis déportées en Allemagne, sont averties, suivant la formule d’usage, qu’elles doivent se tenir à la disposition du commandant avec l’interdiction formelle de sortir du block jusqu’à l’heure fixée – seize heures et demie.
    Peu d’entre nous savent la nouvelle, l’on n’ose envisager le drame, il est prudent de se taire pour les petites et pour nous-mêmes. J’ai passé la journée avec elles. Pierrette et Marie-Louise sont des enfants. Pierrette, à vingt-deux ans reçut ses galons à Londres ; elle aime l’Afrique où elle a préparé le débarquement américain. Marie-Louise est une vaillante Bretonne de vingt-quatre ans, elle fait la guerre ; et Suzy, de Metz, est maman d’une fillette de six ans. Jenny adore le risque. Toutes quatre tombent aux mains des Allemands en avril 1944 ; seront-elles traitées en soldats ?
    Le coup fatal éclate, quelle stupeur s’empare de nous, des mieux prévenues. Le soir, nous attendons leur retour au block, sans espoir. Marie-Louise a imaginé mille conjectures ; pleine d’illusions encore, elle a emporté plusieurs adresses. Pierrette n’a dit mot, elle pensait. Cependant, elles ont été fusillées. La nuit survient, le block ferme, les petites ne coucheront pas là. Le lendemain, nous faisons d’adroites recherches. Sur un registre figure à côté des quatre matricules la mention vague et classique : « transport » sans destination. C’est étrange ; entre ses dents, une femme murmure : « C’est ainsi que l’on indique les fusillées. » Plus tard, nos amies tchèques parviennent à retrouver les vêtements et les matricules renvoyés à l’étuve. Notre enquête se poursuit. À six heures, elles ont quitté le Bunker, on les vit passer. Une colonne du dehors a vu la route barrée à un certain endroit, et dans le bois, près d’un hangar éloigné, des S.S. s’agitent. On a même perçu des coups de feu, un

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