Le camp des femmes
bien closes et il était interdit de pénétrer dans une autre chambre que la sienne. Avec une camarade, M me Gaby Hamouy, je fus destinée à la chambre 4. On me fit coucher avec une petite Allemande au rez-de-chaussée d’un châlit car c’était la seule place en bas restée libre et, comme je ne pouvais grimper au premier étage, je dus me résigner à me séparer de mon amie dont j’aurais préféré partager le lit – ce n’était guère agréable de coucher avec une étrangère, d’autant plus que la mienne était tuberculeuse au dernier degré et crachait le sang dans un bassin placé à côté d’elle. Elle était, de plus, couverte de plaies suppurantes où grouillait la vermine. Je ne puis oublier les heures de cauchemar qui furent les miennes lorsque la nuit je sentais les poux qui accouraient de elle à moi. Ma répulsion fut si forte que le lendemain je fis des efforts surhumains pour arriver à grimper près de M me Gaby, préférant me rompre les os à escalader plutôt que de partager plus longtemps le grabat de cette contagieuse. La paillasse que j’occupais avec mon amie n’en grouillait pas moins, elle aussi, de vermine ; mais du moins M me Gaby ne m’offrait pas cette promiscuité repoussante d’une phtysique au terme de sa vie, pourrissant sur sa couche.
La nourriture de ce Revier était réduite au strict minimum : un demi-litre d’eau chaude dans laquelle nageaient quelques rondelles de carottes et de rutabagas, une tranche de pain de cinquante grammes et, au soir, un demi-quart d’ersatz de café, le commandant ayant décrété que nous étions du « matériel pour le krématorium ».
C’est Vera qui nous avait rapporté ces paroles. De maigre, je devins squelettique, et souvent j’avais des étourdissements causés par la faim qui me tenaillait les entrailles.
Toute la journée se passait ainsi, affalées sur notre couche, mon amie et moi n’avions parfois même plus la force de nous parler. Pourtant, j’entendais parler les Allemandes et autres étrangères qui, dans les lits voisins, parlaient avec effroi de « spritze » (piqûre). Jusqu’à ce moment je n’avais rien constaté d’insolite dans notre chambre où on nous laissait relativement en paix, mais en me traînant chaque soir au lavabo, je fus surprise de trouver quatre à cinq femmes nues, couchées à même le carreau, geignant, râlant, visiblement en train d’agoniser. Je compris que ces femmes avaient certainement reçu la piqûre. En effet, un soir, de la porte vitrée de notre chambre, je vis passer dans le couloir, se dirigeant vers le Waschraum (lavabo), la Schwester Vera, une seringue et un garrot à la main : j’entendis des cris, puis le silence se fit et je vis ressortir l’infirmière. Quelques minutes plus tard, je me rendis au Waschraum où je trouvai un cadavre de femme. Cette scène se reproduisait presque quotidiennement et j’observai que les femmes que Vera achevait avec une piqûre provenaient d’une salle située au fond du Revier où il était interdit de pénétrer et que l’on connaissait seulement sous le nom de Tagesraum. Dans cette salle étaient envoyés les cas graves de typhus et on n’en sortait que pour aller finir sur le carreau du Waschraum. J’appris aussi que lorsque des prisonnières étaient désignées pour aller dans cette salle, on les mettait complètement nues et on leur prenait le petit bagage qu’elles pouvaient encore posséder.
Un jour, Schwester Vera vint dans notre chambre et elle nous dit, à M me Gaby et à moi : de nous préparer pour nous rendre dans la Tagesraum. Nous étions atterrées. Toutefois j’eus le courage d’aller trouver Vera et lui demandai pourquoi elle nous envoyait dans cette salle effrayante puisque nous n’avions pas le typhus. Elle me rétorqua que dans les petites chambres où nous étions il ne devait rester que des tuberculeuses, que la Tagesraum avait été nettoyée et assainie et que nous y serions mieux car il n’y aurait plus de bacillaires ni de contagieuses. Je lui demandai alors pourquoi on nous prenait toutes nos affaires et j’insistai pour qu’elle nous autorise à les garder. Devant mon insistance, elle y consentit et nous pénétrâmes dans le Tagesraum où une vingtaine de femmes évacuées comme nous des autres petites salles nous avaient précédées. Moins heureuses que nous, elles avaient été délestées de leurs paquets et comme certaines protestaient que nous avions conservé
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