Le Capitaine Micah Clarke
est
assez haute pour donner un jeu suffisant au coup de sabre.
Allons-y, mon gentilhomme, et voyons si vous êtes capable d'y
mettre votre marque.
– Frappez le premier, monsieur, dis-je,
puisque vous avez porté le défi.
– Il me faudra abîmer mon propre casque pour
refaire ma réputation de soldat, grommela-t-il. Soit, soit, ces
jours-ci il a résisté à plus d'un coup de taille.
Il tira son sabre, fit reculer la foule qui
s'était amassée autour de nous, brandit la lame avec une vigueur
étonnante autour de sa tête, et l'abattit dans tout son élan, avec
justesse, sur le casque d'acier poli.
L'objet rebondit très haut, puis retomba à
grand bruit sur le parquet de chêne.
On y voyait une longue et profonde entaille
qui avait pénétré à travers l'épaisseur du métal.
– Bien frappé ! Un beau coup !
crièrent les spectateurs.
– C'est de l'acier mis à l'épreuve et trois
fois trempé, garanti capable de faire glisser une lame de sabre,
dit quelqu'un après avoir ramassé le casque pour l'examiner.
Puis il le replaça sur la chaise.
– J'ai vu mon père trancher de l'acier trempé
avec ce vieux sabre, dis-je, en tirant l'arme qui avait cinquante
ans d'âge. Il y mettait un peu plus de force que vous ne l'avez
fait. Je lui ai entendu dire qu'un bon coup venait plutôt du dos et
des reins que des seuls muscles du bras.
– Ce n'est pas une conférence qu'il nous faut,
mais un
beispiel
ou exemple, railla l'Allemand. C'est à
votre coup que nous avons affaire, et non aux leçons de votre
père.
– Mon coup, dis-je, est d'accord avec les
leçons de mon père.
Puis faisant tournoyer le sabre, je l'abattis
de toute ma force sur le casque de l'Allemand.
La bonne vieille lame du temps de la
République trancha la plaque d'acier, coupa la chaise en deux et
enfonça sa pointe à deux pouces de profondeur dans le parquet de
chêne.
– Ce n'est qu'un tour, expliquai-je, un tour
que j'ai exécuté à la maison dans les soirées d'hiver.
– Voilà un tour que je ne me soucierais guère
de voir faire sur moi, dit Lord Grey au milieu du murmure général
d'applaudissements et de surprise. Par ma foi, mon homme, vous êtes
venu au monde deux siècles trop tard. Quelle valeur auraient eue
vos muscles avant que la poudre à canon eût mis tous les hommes au
même niveau !
– Merveilleux ! grogna Buyse,
merveilleux ! J'ai passé l'âge de la force, mon jeune
monsieur, et je puis bien vous laisser la palme de la vigueur.
C'était vraiment un coup magnifique. Voilà qui m'a coûté un baril
ou deux de vin des Canaries, et un bon vieux casque, mais je ne le
regrette pas, car la chose s'est faite en toute loyauté. Je suis
heureux que ma tête n'ait pas été dedans. Saxon, que voici, nous a
fait voir quelques beaux tours à l'épée, mais il n'a pas le poids
qu'il faut pour des coups assommants comme celui-ci.
– J'ai encore le coup d'œil juste et la main
ferme, bien que le défaut d'exercice leur ait fait perdre quelque
chose, dit Saxon, trop heureux de saisir cette occasion d'attirer
sur lui les regards des chefs. Au sabre, avec l'épée et la dague,
l'épée et le bouclier, un seul fauchon ou l'assortiment de
fauchons, mon défi d'autrefois tient toujours contre le premier
venu, à l'exception de mon frère Quartus, qui joue aussi bien que
moi, mais il a un demi-pouce de taille qui lui donne l'avantage sur
moi.
– J'ai étudié l'escrime au sabre sous le
signor
Contarini, de Paris, dit Lord Grey. Quel a été
votre maître ?
– Mylord, dit Saxon, j'ai étudié sous le
signor
l'Âpre Nécessité, d'Europe. Pendant trente-cinq
ans, chaque jour de ma vie a dépendu de ce que j'étais en mesure de
me défendre avec ce bout d'acier. Voici un petit tour qui exige
quelque justesse de coup d'œil. Il consiste à lancer cet anneau au
plafond et à le recevoir à la pointe d'une rapière. Cela semble
peut-être facile, et cependant on ne peut y arriver sans quelque
pratique.
– Facile ! s'écria Wade, l'homme de loi,
personnage à figure carrée, au regard hardi. Mais l'anneau est
juste assez large pour votre petit doigt. On pourrait réussir ce
tour une fois par hasard, mais on ne peut y compter.
– Je mets une guinée sur chaque coup, dit
Saxon, et jetant en l'air le petit cercle d'or, il brandit sa
rapière et lança un coup de pointe.
L'anneau glissa avec un bruit métallique le
long de la lame et sonna contre la garde, dextrement enfilé. D'un
vif mouvement du poignet, il le lança de
Weitere Kostenlose Bücher