Le Capitaine Micah Clarke
longtemps et mûrement réfléchi
avant de se prononcer. Jacques Stuart a beaucoup de cavalerie, et
nous en sommes entièrement dépourvus. Nous pouvons tenir ferme
derrière des haies, dans un pays accidenté, mais quelle chance
aurions-nous au milieu de la plaine de Salisbury ? Entourés
par les dragons, nous serions comme un troupeau de moutons cerné
par une bande de loups. En outre, chaque pas que nous faisons dans
la direction de Londres nous éloigne du terrain qui nous est
favorable, et du pays fertile qui fournit à nos besoins, en même
temps que cela raccourcit la distance que Jacques Stuart doit
parcourir pour amener ses troupes et ses subsistances. Ainsi donc,
à moins que nous ne recevions la nouvelle d'un soulèvement
important en notre faveur à Londres, nous ferions mieux de défendre
notre terrain et d'attendre une attaque.
– Vous raisonnez avec finesse et justesse,
Mylord Grey, dit le Roi. Mais combien de temps attendrons-nous ce
soulèvement qui ne se produit jamais, ces appuis toujours promis
qui n'arrivent point. Voici sept longs jours que nous sommes en
Angleterre et pendant ce temps, pas un des membres de la Chambre
des Communes n'est venu à nous, et parmi les Lords il n'y a que
Lord Grey qui était lui-même en exil. Pas un baron, pas un comte,
et un seul baronnet a pris les armes pour nous. Où sont les homme
que Danvers et Wildman m'avaient promis de Londres ? Où sont
les remuants apprentis de la Cité qui, disait-on, me demandaient
instamment ? Où sont les insurrections qui devaient s'étendre
de Berwick à Portland, à ce qu'on annonçait. Pas un homme n'a
bougé, excepté ces bons paysans. J'ai été trompé, attiré dans un
piège, poussé dans une trappe par de vils agents qui m'ont entraîné
à l'abattoir.
Il allait et venait en se tordant les mains,
se mordant les lèvres, le désespoir marqué en grands traits sur sa
figure.
Je remarquai que Buyse disait quelques mots à
l'oreille de Saxon.
C'était sans doute une allusion à la crise de
froid dont il avait parlé.
– Parlez, colonel Buyse, dit le Roi, faisant
un violent effort pour maîtriser son émotion. En qualité de soldat,
êtes-vous d'accord avec Mylord Grey ?
– Interrogez Saxon, Majesté, répondit
l'Allemand. Dans une réunion du Conseil, mon opinion, ainsi que je
l'ai remarqué, est toujours la même que la sienne.
– Alors nous nous adressons à vous, colonel
Saxon, dit Monmouth. Nous avons dans ce conseil un parti en faveur
d'une marche en avant, et un autre qui propose de maintenir notre
position. Si votre vote devait faire pencher la balance, que
décideriez-vous ?
Tous les regards se retournèrent vers notre
chef, car son attitude martiale et le respect que lui témoignait
Buyse, un vétéran, faisaient supposer avec toute probabilité que
son avis l'emporterait.
Il resta un instant silencieux, les mains sur
sa figure.
– Je vais dire ce que je pense, Majesté,
fit-il enfin. Feversham et Churchill marchent vers Salisbury avec
trois mille hommes d'infanterie, et ils ont lancé en avant huit
cents hommes de la garde bleue et deux ou trois régiments de
dragons. Nous serions donc forcés de livrer bataille dans la plaine
de Salisbury, comme l'a dit Lord Grey, et notre infanterie, qui a
des armes de toutes les sortes, ne serait guère capable de résister
à leur caractère. Tout est possible au Seigneur, ainsi que le dit
sagement le docteur Ferguson ; nous sommes comme des grains de
poussière dans le creux de sa main. Toutefois il nous a donné de la
cervelle pour que nous soyons en état de choisir le meilleur parti,
et si nous omettons d'en faire usage, nous aurons à supporter les
suites de notre sottise.
Ferguson eut un rire dédaigneux, et marmotta
une prière, mais bon nombre de Puritains hochèrent la tête en signe
d'assentiment, reconnaissant que cette façon de voir les choses
n'avait rien de déraisonnable.
– D'un autre côté, reprit Saxon, il me semble
également impossible que nous restions ici. Les amis qu'a Votre
Majesté dans toute l'Angleterre seraient entièrement découragés si
l'armée restait immobile, sans frapper un coup. Les paysans
retourneraient près de leurs femmes, dans leurs foyers. Un tel
exemple est contagieux. J'ai vu une grande armée se fondre comme un
glaçon au soleil. Une fois qu'ils seraient partis, il ne serait pas
facile de les réunir de nouveau. Pour les retenir, il faut les
occuper. Ne jamais les laisser une minute sans rien faire,
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