Le Cercle du Phénix
étrangement suave et douce qui contrastait avec la
dureté de sa physionomie, nous sommes aujourd’hui rassemblés pour évoquer un
point d’une extrême importance. Il s’agit du problème de longue date posé par
le magistrat de Westminster, Sir George Kendall. Vous n’ignorez pas qu’il se
montre fort peu coopératif, malgré les généreuses incitations dont il a fait
l’objet de notre part. Son honnêteté, son inflexible refus de se laisser
corrompre, deviennent un obstacle pour l’avenir de notre organisation. Il a
déjà causé beaucoup de tort au Cercle, et son existence met en danger notre
expansion. Une décision a donc été prise.
Le
Commandeur fit une pause dramatique, jaugeant sévèrement ses lieutenants qui le
fixaient, le souffle suspendu. Puis, venimeux comme un cobra, il siffla :
— À l’heure où je
vous parle, Messieurs, le destin de Sir George Kendall est scellé. La
difficulté est par conséquent réglée.
Un murmure approbateur
accueillit ces paroles. Tel était le sort des hommes qui avaient l’audace de se
dresser sur le chemin du Cercle du Phénix. Arthur Stanford, Robert
Sullivan, Albert Matthews, John Browning, Herbert Tyndall… Longue était la liste de
ceux, policiers, magistrats ou journalistes, qui avaient payé de leur vie leur
insoumission.
Satisfait de la réaction
de son auditoire, le Commandeur entreprit d’expédier les affaires courantes. Le
reste de la séance se passa à énumérer les gains des activités frauduleuses du
mois et à discuter des projets en cours. Des blâmes et des compliments furent
distribués en fonction des résultats de chacun, le blâme étant la norme et le
compliment l’exception. Enfin, à trois heures précises, le Commandeur se leva
et clôtura la réunion d’un ton solennel :
— Messieurs, la
séance est levée.
Il
attendit que les membres du Cercle soient sortis par la porte opposée avant de
regagner son bureau au sein de la banque Russell.
Son
cabinet, d’aspect sévère et imposant, était dans un ordre parfait et meublé
richement : un monumental bureau d’acajou à cylindre, contenant un grand
nombre de tiroirs dotés de serrures à secret, occupait le centre de la
pièce ; plusieurs lourdes chaises, en acajou également, lui faisaient
face, recouvertes de coussins en velours vert ; un crucifix en ivoire
constituait le seul ornement de la cheminée haute et construite à l’antique,
sur la tablette de laquelle reposait une pendule dorée.
Le Commandeur se carra
dans son confortable fauteuil et jeta un regard distrait aux cotes journalières
de la Bourse posées sur le bureau par son secrétaire. Le tumulte de la banque
qu’il dirigeait d’une main de fer depuis quinze ans lui parvenait par
intermittence, assourdi par les murs épais. Il devait présider un conseil
d’administration dans une vingtaine de minutes, ce qui lui laissait un peu de
temps pour réfléchir.
Lors de la réunion du
Cercle, il s’était abstenu d’évoquer un point fondamental devant ses
lieutenants. Ce sujet revêtait une importance si capitale qu’il était enrobé de
mystère ; seuls quelques rares élus avaient été mis dans la confidence.
Il s’agissait d’un
projet de grande ampleur qui, s’il aboutissait, procurerait à l’organisation
une richesse et une influence sans égales. La première phase du plan était en
bonne voie d’exécution. Les espions du Commandeur à Paris lui avaient fourni
des renseignements précieux, et Thomas Ferguson avait été éliminé. Celui-ci
avait pu cependant envoyer avant sa mort le premier Triangle à une de ses
amies, Cassandra Jamiston, et son fils Nicholas était en possession du
deuxième. Ces Triangles, indispensables à la réalisation de l’objectif,
devaient à tout prix être récupérés. Les informateurs du Cercle avaient perdu
la piste de Nicholas Ferguson peu après son départ de Paris, mais ils étaient
parvenus à retrouver sa trace par la suite. Leur proie venait de rentrer en
Angleterre et se cachait en ce moment même à Londres. Il serait la première
cible. Ensuite viendrait le tour de la femme.
Le
Commandeur disposait de plusieurs atouts entre les mains. Il était essentiel de
bien les jouer : l’enjeu était crucial et n’admettait aucune erreur. La
partie avait commencé, et tous les moyens seraient mis en œuvre pour la gagner.
*
Sir George Kendall
venait de terminer ses audiences. Il avait comme chaque jour présidé son
tribunal une
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