Le Cercle du Phénix
mécanique, l’assassin sortit une perle et un rubis
d’une petite bourse et les glissa dans la paume encore chaude du magistrat.
La journée n’était pas
terminée. Il avait encore un travail à accomplir.
Il devait maintenant se
rendre à Prince Street.
*
Il faisait déjà nuit
lorsque Cassandra parvint là-bas. Bien qu’éclairée à intervalles réguliers par
des réverbères, la rue était noyée dans un brouillard humide. La jeune femme
descendit prestement de la voiture et donna instruction à son cocher de
l’attendre. Afin d’être plus à l’aise dans ses mouvements, elle avait lissé et
ramassé en arrière sa chevelure en une lourde natte maintenue par des rubans de
soie entrelacés, et revêtu de nouveau des vêtements masculins, autrement plus
confortables et pratiques qu’une crinoline.
Thomas Ferguson n’avait
pas mentionné d’adresse précise dans sa lettre, mais Cassandra savait, pour y
être déjà venue, que la maison qui l’intéressait se situait au numéro 10 de
Prince Street. En deux enjambées, elle atteignit le portail de fer forgé qui
gardait l’entrée de la demeure.
La maison était une
bâtisse de brique rouge d’apparence banale, entourée d’un jardinet, et dont les
volets à l’avant étaient clos. Cassandra dut peser de tout son poids sur le
portail rouillé pour l’ouvrir. Le jardin laissé à l’abandon offrait un triste
spectacle. L’herbe était jonchée de feuilles mortes, et les parterres de fleurs
achevaient de pourrir, de même que les rosiers grimpants qui agrémentaient
autrefois la façade.
Cassandra s’approcha de
la porte d’entrée et fit jouer plusieurs fois le marteau sur le heurtoir. Nul
ne répondit. Elle n’en fut pas surprise : à sa connaissance, personne
n’avait habité cette maison depuis des années, depuis que Thomas Ferguson,
alors professeur d’histoire à l’université de Londres, avait contracté un
héritage et abandonné son métier pour courir le monde à la poursuite de son
obsession.
Cassandra poussa la
porte et, à son étonnement, le battant céda sans difficulté. Elle fronça les
sourcils en constatant que la serrure avait été forcée.
— Il
semblerait que je ne sois pas la première à venir ici en l’absence du propriétaire,
marmonna-t-elle en tâtant le pistolet dissimulé sous son manteau de velours
noir.
Portant
la lampe qu’elle avait pris la précaution d’emmener haut devant elle, Cassandra
pénétra dans un corridor plongé dans une dense obscurité. Elle fit quelques pas
puis s’immobilisa et tendit l’oreille, à l’affût du moindre bruit suspect. La
maison paraissait paisible, mais Cassandra savait d’expérience qu’il était
hasardeux de se fier aux apparences lorsque l’on se faufilait de nuit dans une
demeure qui ne nous appartenait pas.
Elle
visita le rez-de-chaussée sans rencontrer âme qui vive. Le sol des pièces était
tapissé d’une épaisse couche de poussière, et des toiles d’araignées s’étaient
formées dans les angles des plafonds. Autrement plus inquiétantes étaient les
traces d’effraction qui parsemaient les lieux : les draps blancs qui
recouvraient les meubles avaient été arrachés, les fauteuils renversés et
éventrés, les tiroirs des secrétaires jetés à terre, des pans entiers de
tapisserie décollés des murs, les briques des manteaux de cheminées descellées,
les lattes de parquet défoncées… La maison avait fait l’objet d’une fouille en
règle, minutieuse et systématique ; pas un centimètre carré ne semblait
avoir échappé au regard inquisiteur des intrus, probablement les mêmes que ceux
qui avaient forcé la porte d’entrée.
À la différence des
inconnus, la maison en elle-même n’intéressait pas Cassandra. C’est pourquoi
elle renonça à explorer les étages, et se dirigea directement vers le fond de
la bâtisse pour déboucher dans le jardin à l’arrière, enclos d’un haut mur
percé d’une porte métallique. La porte, qui curieusement n’était pas fermée à
clé, poussa une plainte révoltée lorsque Cassandra la franchit. La jeune femme
traversa une allée de gravier, un bosquet d’arbres squelettiques, et se
retrouva dans un petit cimetière. La silhouette trapue d’une église se
découpait sur le ciel d’encre, et des brumes d’argent se glissaient entre les
tombes qui reposaient calmement à la lueur de la lune, ombres fantomatiques surgies
du néant.
À travers
les tourbillons et
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