Le Chant de l'épée
avec assurance. Aucune armée saxonne n’irait aussi
loin.
— Mais il dépêchera des prêtres qui
rongeront sa conscience. Et comment sais-tu qu’il n’enverra personne la
reprendre ? Une armée n’est point nécessaire : quelques hommes
déterminés suffisent.
— Tout ce que je demande, c’est une
chance ! Une demeure dans quelque vallée, des champs à labourer, des bêtes
à élever, un lieu où trouver la paix !
Je restai un moment silencieux. Erik bâtissait
en rêve un splendide navire à la coque élancée, mais ce n’était qu’un rêve.
— Æthelflæd, dis-je finalement, est un
trophée. Elle a de la valeur. C’est une fille de roi et son douaire était une
terre. Elle est riche, belle et précieuse. Tout homme qui veut être riche saura
où elle est. Le moindre aventurier en quête d’une rançon facile saura où la
trouver et tu n’auras jamais la paix. Chaque nuit, quand tu barreras la porte, tu
redouteras les ennemis dans les ténèbres, et chaque jour tu les guetteras.
— Dunholm, répondit-il sans s’émouvoir.
— Je connais cet endroit, dis-je avec un
demi-sourire.
— Alors tu sais que c’est une forteresse
que nul ne peut prendre.
— Je l’ai prise.
— Et personne d’autre n’en sera capable, jusqu’à
la fin des temps. Nous pouvons vivre à Dunholm.
— Ragnar détient Dunholm.
— Alors je lui prêterai serment, dit-il
avec ferveur. Je serai son homme lige et je lui confierai ma vie.
Je pesai un moment les rêves déments d’Erik et
les dures réalités de la vie. Dunholm, blottie dans une boucle de la rivière et
perchée sur son éperon rocheux, était en effet presque imprenable. Un homme
pouvait penser qu’il mourrait dans son lit s’il détenait Dunholm, car même une
poignée de soldats suffisaient à défendre le raidillon qui en était le seul
accès. Et, sachant que Ragnar s’amuserait d’Erik et Æthelflæd, je fus séduit
par la passion d’Erik. Peut-être son rêve n’était-il pas si dément.
— Mais comment emmènerais-tu Æthelflæd
là-bas à l’insu de ton frère ?
— Avec ton aide.
À ces mots, j’entendis les trois Nornes rire. Une
corne sonna dans le camp, annonçant sans doute le festin promis par Sigefrid.
— J’ai prêté allégeance à Alfred, répondis-je.
— Je ne te demande pas de rompre ton
serment.
— Bien sûr que si ! Alfred m’a
confié une mission dont j’ai rempli la moitié. L’autre est de ramener sa fille !
— Trois mille livres d’or et cinq cents d’argent,
dit-il en crispant les poings sur les pieux. Songe au nombre d’hommes que cela
achètera.
— J’y ai songé.
— Un équipage des meilleurs guerriers
peut s’acheter pour une livre d’or.
— Certes.
— Et nous avons assez d’hommes pour
défier le Wessex.
— Tu peux le défier, mais point le défaire.
— Mais nous le ferons, si nous avons l’or
et les hommes.
— Certes, concédai-je de nouveau.
— Et l’or attirera encore d’autres hommes,
poursuivit-il, d’autres navires, et cet automne ou au printemps prochain nous
mènerons une horde en Wessex. Nous réunirons une armée auprès de laquelle celle
que tu vainquis à Ethandun ne sera qu’une poignée. Nous porterons épées, lances
et haches en Wessex, et nous brûlerons vos villes, prendrons vos enfants et vos
femmes et tuerons vos hommes. Est-ce vouloir cela, que servir Alfred ?
— C’est ce que fomente ton frère ?
— Et pour y parvenir, continua-t-il sans
répondre, il doit revendre Æthelflæd à son père.
— Oui, reconnus-je.
Si aucune rançon n’était payée, les hommes
déjà établis à Beamfleot et aux alentours disparaîtraient comme rosée au matin.
Plus aucun navire n’arriverait et le Wessex ne serait point menacé.
— Ton serment, que je sache, dit-il
respectueusement, est de servir Alfred de Wessex. Et le sers-tu, seigneur
Uhtred, en permettant à mon frère de s’enrichir assez pour l’anéantir ?
L’amour avait donc retourné Erik contre son
frère. L’amour le faisait rompre tous les serments qu’il avait prononcés. L’amour
est plus puissant que le pouvoir. La corne sonna de nouveau, pressante. Des
hommes se hâtèrent vers le château.
— Ton frère, dis-je, sait-il que tu aimes
Æthelflæd ?
— Il croit que je l’aime, pour l’heure, mais
que l’argent me la fera oublier. Il croit que j’en use pour mon plaisir et cela
l’amuse.
— Et en uses-tu ?
— Est-ce ton
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