Le Chant de l'épée
garder.
— Il sait que tu l’aimes bien ?
— Il n’en sait pas davantage.
Haesten, sans foi ni parole, qui me devait la
vie et avait rompu son serment. Dont les ambitions dépassaient sans doute même
les rêves de Sigefrid. Je le suivis du regard alors qu’il entrait dans sa
demeure.
— Prends garde à lui, avertis-je. Je
crois qu’on le sous-estime beaucoup.
— C’est une fouine. Quel message dois-je
porter à Ragnar ?
— Dis-lui que sa sœur est heureuse, et
laisse Æthelflæd lui donner des nouvelles d’elle.
Il était inutile de rédiger quoi que ce soit, même
si j’avais eu encre et parchemin, car Ragnar ne savait point lire ; mais
Æthelflæd connaissait Thyra et les nouvelles de l’épouse de Beocca
convaincraient Ragnar que ces amants en fuite disaient la vérité.
— Et dans une semaine, poursuivis-je, lorsque
le soleil poindra, soyez prêts.
— Ce sera le jusant, dit Erik après avoir
réfléchi. Nous serons prêts.
Pour la folie ou pour l’amour, pensai-je. Et au pied de l’arbre de vie, comme les trois sœurs devaient
rire…
Je parlai peu durant
le retour. Finan bavardait avec entrain, commentant la générosité de Sigefrid
en matière d’ale et de femmes. J’écoutai à moitié, puis l’Irlandais sentit mon
humeur et se tut. C’est seulement lorsque nous fûmes en vue des bannières des
remparts est de Lundene que je lui fis signe de presser l’allure avec moi pour
que nous parlions à l’écart.
— Dans six jours, lui dis-je, tu dois
tenir l’ Aigle-des-Mers prêt pour la mer. Il nous faudra de l’ale et des
vivres pour trois jours. (Je ne pensais pas m’absenter autant, mais mieux
valait être bien préparé.) Nettoie sa coque entre les marées et assure-toi que
chaque homme est sobre, armé et prêt au combat.
Finan sourit finement. Nous passions devant
des masures qui avaient poussé au bord des marais longeant la Temse. Bien des
habitants étaient des esclaves qui avaient échappé à leurs maîtres danes d’Estanglie
et qui subsistaient des déchets de la cité ou de maigres lopins plantés de
seigle, d’orge ou d’avoine qu’ils étaient en train de moissonner.
— Personne à Lundene ne doit savoir que
nous partons, intimai-je.
— Nul ne saura.
Nous continuâmes en silence. Voyant ma maille,
les gens s’enfuyaient, puis se touchaient le front ou s’agenouillaient quand je
leur jetais quelques sous. Le soir tombait, le soleil était caché derrière les
fumées de Lundene dont nous sentions déjà l’air empuanti.
— As-tu vu le navire qui barre le chenal
de Beamfleot ? demandai-je à Finan.
— J’y ai jeté un coup d’œil, seigneur.
— Si nous l’attaquions, on nous verrait
arriver. Les hommes seront à l’affût derrière les remparts de la coque.
— À plus d’une hauteur d’homme au-dessus
de nous.
— Réfléchis donc comment nous pourrions
faire sortir ce navire du chenal.
— Ce que nous n’avons nulle intention de
faire, seigneur, n’est-ce pas ? interrogea-t-il malicieusement.
— Bien sûr que non, répondis-je. Mais
songes-y tout de même.
Dans un grincement, les portes de la ville s’ouvrirent
et nous entrâmes.
Alfred nous attendait, ses messagers l’ayant
averti de notre arrivée et, avant même que j’aie pu saluer Gisela, je fus mandé
au palais.
Je m’y rendis avec Willibald, Steapa et Finan.
Le roi se tenait dans la grande salle éclairée des hauts cierges gradués qui
lui servaient à mesurer le temps, et dont un serviteur coupait la mèche pour
que la flamme soit régulière. Le roi était accompagné d’Æthelred, du frère
Asser, du père Beocca et de l’évêque Erkenwald.
— Alors ? lança-t-il sèchement.
— Elle est en vie et indemne, traitée
avec le respect dû à son rang, convenablement gardée, et ils acceptent de nous
la vendre.
— Dieu merci, dit Alfred en se signant.
Æthelred darda sur moi un regard venimeux.
— Combien ? demanda Erkenwald.
— Trois mille livres d’argent et cinq
cents d’or. (J’expliquai qu’un premier versement devait être fait avant la
prochaine pleine lune et le reste un mois plus tard.) La dame Æthelflæd ne sera
libérée qu’une fois le dernier sou versé.
Erkenwald et Asser frémirent devant le montant
de la rançon, mais Alfred resta de marbre.
— Nous allons payer là notre destruction,
grommela Erkenwald.
— Ma fille m’est chère, dit timidement
Alfred.
— Avec cet argent, l’avertit
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