Le Chant de l'épée
avez dix bracelets, il vous en demandera quatre ! Si
vous avez un trésor d’argent, les hommes du roi le trouveront et en prendront
leur part ! Mais ce que nous allons faire en ce jour y mettra peut-être un
terme !
Un autre murmure. Dans le Wessex régnait déjà
le mécontentement à la pensée de l’argent qui allait être extorqué aux
propriétaires terriens et marchands. Alfred avait sacrifié sa propre fortune, mais
il lui fallait davantage, bien davantage ; et si la collecte n’avait point
encore commencé, c’est que le débat faisait rage parmi ses conseillers. Certains
voulaient que l’Église contribue parce que, même si le clergé répétait qu’il
était pauvre, chacun savait que les monastères regorgeaient de richesses. L’Église
avait alors menacé d’excommunier quiconque osait toucher au moindre sou
appartenant à Dieu ou, plus précisément, à ses évêques et abbés. Moi, tout en
espérant secrètement qu’aucune rançon ne serait nécessaire, j’avais recommandé
de prélever toute la somme sur l’Église, mais ce sage avis avait bien sûr été
ignoré.
— Et si la rançon est versée, continuai-je,
nos ennemis seront assez riches pour engager dix mille épées ! La guerre
envahira tout le Wessex ! Vos maisons seront incendiées, vos femmes
violées, vos enfants enlevés et vos richesses confisquées. Mais ce que nous
allons faire en ce jour peut l’empêcher !
J’exagérais un peu, mais guère. La rançon
pouvait certes engager cinq mille épées, haches et lances, et c’était pour cela
que les Vikings se rassemblaient à l’estuaire. Ils flairaient la faiblesse, et
la faiblesse précède le sang, qui augure de richesses. Les longs navires
descendaient dans le Sud, mettant le cap sur Beamfleot en attendant de déferler
sur le Wessex.
— Les Norses sont cupides ! continuai-je.
Ils savent qu’en Æthelflæd ils ont une fille de grande valeur et ils se la
disputent comme chiens affamés ! Eh bien, l’un d’eux est prêt à trahir les
autres ! À l’aube, il va faire sortir Æthelflæd du camp. Il nous la
remettra et il acceptera une rançon bien plus basse ! Il préfère garder
une somme moindre pour lui seul qu’avoir une seule part. Il sera riche ! Mais
pas assez pour acheter une armée !
C’était la version que j’avais décidé de leur
donner. Ne pouvant retourner à Lundene en clamant que j’avais aidé Æthelflæd à
fuir avec son amant, je prétendrais qu’Erik avait proposé de trahir son frère
et que je l’avais aidé, mais qu’il m’avait ensuite trahi à son tour. Qu’au lieu
de me donner Æthelflæd, il s’était enfui avec elle. Alfred m’en voudrait
néanmoins, mais il ne pourrait m’accuser d’avoir trahi le Wessex. J’avais même
pris à bord un gros coffre rempli de sable et cloué afin que nul ne puisse l’ouvrir.
Tous l’avaient vu embarquer et pensaient qu’il contenait la somme due à Erik.
— Avant l’aube, enchaînai-je, la dame
Æthelflæd embarquera sur un navire ! Quand le soleil poindra à l’horizon, ce
navire l’emmènera. Mais un vaisseau barre le chenal et notre tâche est de l’en
débarrasser ! C’est tout ! Nous n’avons qu’à déplacer un navire et la
dame Æthelflæd sera libre. Nous la ramènerons à Lundene et nous serons célébrés
comme des héros ! Le roi sera reconnaissant !
Cela leur plut de penser qu’ils seraient
récompensés par le roi. J’éprouvai un pincement de cœur, car je savais que nous
ne ferions que provoquer l’ire d’Alfred, même si nous lui épargnions la
nécessité de verser une rançon.
— Je ne vous en ai rien dit, ni à vous ni
à Alfred, car quelqu’un aurait été capable dans l’ivresse de bavarder dans
quelque taverne et les espions de Sigefrid auraient éventé notre ruse. Et, en
arrivant à Beamfleot, nous aurions été accueillis par une armée. Alors qu’à
présent tous dorment et que nous allons sauver Æthelflæd !
Ils m’acclamèrent. Seul Ralla resta coi et, quand
la clameur se tut, il me posa une question à mi-voix :
— Et comment allons-nous déplacer ce
navire ? Il est plus grand et plus haut que le nôtre et son équipage ne
sera pas endormi.
— Nous ne le ferons point. Je le ferai. Clapa
et Rypere ? Vous m’aiderez. À nous trois, nous déplacerons le navire.
Et Æthelflæd serait libre, et l’amour
vaincrait, et le vent serait toujours chaud, et la nourriture abonderait en
hiver, et nous ne vieillirions
Weitere Kostenlose Bücher