Le Chant de l'épée
dégoûté, c’est
le seigneur Uhtred.
— Je te croyais en Estanglie ! criai-je.
— J’y étais, mais le roi Æthelstan m’a
dépêché pour m’assurer que vous autres pauvres gueux de Saxons ne mouilliez pas
vos braies quand vous verrez les Norses sur les murailles de Lundene. Belle
matinée, ma dame, dit-il aimablement à Æthelflæd en s’approchant, vêtu d’une
chemise sale où pendait sa croix.
— Nous avons passé midi, mon père, dit Æthelflæd
d’un ton enjoué.
— Déjà ? Bon Dieu, j’ai dormi comme
un enfant. Dame Gisela ! Quel plaisir ! Bonté divine, toutes ces
beautés ici réunies… S’il ne pleuvait, je me croirais transporté au paradis. Mon
seigneur, dit-il à mon cousin, as-tu besoin de conseil ?
— Que non, répondit sèchement Æthelred.
— Alfred m’a demandé de venir en
conseiller, sourit Pyrlig en se grattant le ventre. Je suis là pour assister le
seigneur Æthelred.
— Tout comme moi, répondis-je.
— Et sans aucun doute, le conseil du
seigneur Uhtred sera le même que le mien, continua-t-il : nous devons
courir tel un Saxon qui voit l’épée d’un Gallois.
— Il veut dire que nous devons aller vite,
expliquai-je à Æthelred, qui avait parfaitement compris.
Mon cousin ne releva pas.
— Fais-tu exprès d’être insolent ? demanda-t-il
à Pyrlig avec raideur.
— Oui, seigneur ! fit Pyrlig.
— J’ai tué des dizaines de Gallois, dit
mon cousin.
— Eh bien, les Danes ne te causeront
point souci, répliqua Pyrlig. Mais mon conseil tient toujours, seigneur. Hâtons-nous !
Les païens savent que nous arrivons, et plus nous leur donnons de temps, plus
ils armeront leurs défenses !
Nous aurions pu nous
déplacer rapidement si nous avions eu des navires pour nous transporter en aval,
mais Sigefrid et Erik, sachant que nous étions en marche, avaient bloqué toute
la circulation sur la Temse et, outre l’ Heofonhlaf, nous n’avions pu
réunir que cinq vaisseaux, guère assez pour nos troupes. Aussi seuls les vivres,
les traînards et la coterie d’Æthelred voyageaient-ils par le fleuve. Nous
marchâmes et il nous fallut quatre jours. Régulièrement, nous voyions des
cavaliers au nord ou des navires en aval : les éclaireurs de Sigefrid
venaient dénombrer notre pauvre armée. Nous perdîmes tout un dimanche, car Æthelred
exigea que les prêtres disent une messe. J’écoutai leurs litanies pendant que
les cavaliers ennemis nous observaient de loin. Je savais qu’Haesten était sans
doute déjà à Lundene et que ses hommes, au moins deux ou trois cents, renforceraient
les murailles.
Æthelred voyageait à bord de l’ Heofonhlaf et il n’en débarquait que le soir pour faire le tour des sentinelles que j’avais
postées. Il mettait un point d’honneur à les déplacer comme pour indiquer que
je ne connaissais pas mon affaire, et je ne bronchais pas. La dernière nuit, nous
bivouaquâmes sur une île reliée à la rive nord par une étroite langue de terre
et dont le rivage bordé de roseaux était si vaseux que Sigefrid, s’il avait
voulu nous attaquer, aurait eu du mal à aborder. Nous amarrâmes nos navires
dans l’anse que formait l’île au nord et, lorsque la marée baissa et que les
coassements des grenouilles s’élevèrent dans le crépuscule, les coques s’enfoncèrent
dans la vase. Nous allumâmes sur la rive des feux qui trahiraient l’approche de
l’ennemi et je postai des hommes tout autour de l’île.
Æthelred ne débarqua pas ce soir-là. Il envoya
un serviteur me mander sur son navire, et j’ôtai bottes et braies pour patauger
dans la vase et me hisser à bord. Steapa m’accompagnait. Un serviteur puisa de
l’eau et nous nous lavâmes les jambes, puis, rhabillés, nous retrouvâmes Æthelred
sous son dais à la poupe.
Mon cousin se tenait en compagnie du
commandant de sa garde, un jeune noble mercien nommé Aldhelm, au visage long et
hautain et au regard aussi noir que ses épais cheveux huilés et lustrés.
Æthelflæd était là, elle aussi, avec une dame
de compagnie et le souriant Pyrlig. Je m’inclinai, elle me sourit, mais sans
entrain, et retourna à son ouvrage à la lueur d’une lanterne. Elle brodait au
fil blanc le cheval cabré sur fond gris qui était la bannière de son époux. La
même, plus grande, pendait au mât. Il n’y avait pas de vent et la fumée des
deux villes de Lundene formait un nuage immobile à l’est.
— Nous attaquerons à l’aube,
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