Le Chant des sorcières tome 3
nécessaires pour calculer leur avance.
Djem pouvait le parier.
Dans moins d'une lieue, les hospitaliers se scinderaient en deux groupes. Le premier rejoindrait la caravane du duc de Savoie pour lui rappeler leurs accords passés. Le second reviendrait sur ses pas pour les cueillir.
— Allons, avait-il dit à Nassouh.
Il n'était pas question qu'ils se laissent prendre. Entraînant le cheval par la bride pour ne pas l'épuiser davantage, Djem s'était guidé aux étoiles pour s'enfoncer dans le secret des montagnes.
— Comme en Anatolie, avait souri Nassouh en escaladant le flanc pentu à ses côtés, dans la forêt.
— Nous y retournerons, mon frère, avait promis Djem.
Ils y avaient cru.
Quatre jours.
Au cinquième, leur cheval abandonné depuis longtemps, talonnés par les pisteurs dont s'était nanti Guy de Blanchefort, ils étaient cernés sous un ciel plombé, au sortir d'un petit défilé. S'accolant dos à dos dans un dernier sursaut de défense, ils avaient sorti leurs cimeterres. En réponse, Guy de Blanchefort avait fait armer ses archers. Ensuite de quoi, seul, il s'était avancé.
— Ils viseront vos jambes, Djem. Et le cœur de Nassouh pour vous faire plier. Déposez les armes. C'est fini.
Jacques de Sassenage, le visage émacié, l'avait rejoint.
— Au nom de notre amitié, prince, avait-il insisté.
Pour elle, disait son regard, en vérité.
Pour elle.
Djem avait baissé son bras. Nassouh le sien.
— Philippine nous a tout raconté, sa capture par Philibert de Montoison peu avant le relais tandis que vous chassiez, le départ de celui-ci à la nuit tombée après l'y avoir abandonnée, avait lâché Jacques de Sassenage tandis que deux hommes les ligotaient. Il est étonnant que vous n'ayez pas rencontré le chevalier, avait-il ajouté, devançant, il le savait, la question de Guy de Blanchefort qui s'inquiétait de son protégé.
Inutile d'en dire davantage. Djem avait compris. S'il ignorait comment Philippine avait réussi l'exploit de taire le duel et ses conséquences, de toute évidence, son histoire les couvrait.
— Non, avait-il affirmé, nous ne l'avons pas rencontré.
Ce 12 septembre de l'an de grâce 1484, enfermé dans sa chambre au château de Rochechinard tandis qu'on en préparait le déménagement, le cœur déchiré, Djem gardait le front collé à la vitre, en direction de la Bâtie. Demain, pour la dernière fois sans doute, grâce à l'insistance du baron Jacques ajoutée à sa promesse de ne rien tenter, il reverrait Philippine de Sassenage et lui offrirait le plus beau des diamants de sa collection.
Une pièce d'exception pour un jour d'exception.
Philippine se mariait.
33
Philippine accrocha un sourire à ses traits tirés et se força à ne pas bouger d'un pouce pour que la couturière puisse ajuster, en toute hâte, un pli de sa robe de noces, devenue, en un peu plus de deux semaines, trop grande pour elle.
L'ouvrière pencha la tête d'un côté puis de l'autre pour juger du tombé, avant de piquer son aiguille dans une pelote de tissu attachée à sa taille.
— Vous pouvez baisser les bras, damoiselle Hélène, lui dit-elle avant d'ajouter : Tous mes vœux de bonheur. Ils sont sincères.
Philippine n'en douta pas.
Autant tous au château détestaient Philibert de Montoison, autant son nouveau promis faisait une belle unanimité.
— Merci, Coratine. Vous pouvez vous retirer à présent.
Jacques de Sassenage, qui attendait en silence, confortablement assis dans un faudesteuil, se leva sitôt la porte refermée.
— Tu es splendide, lui confirma-t-il.
La gorge nouée, Philippine se contenta de hocher la tête. Jacques de Sassenage passa derrière elle pour la prendre aux épaules. Comme le sien, son œil était triste et résigné.
— Si j'avais un autre choix…
Philippine posa sur la sienne sa main qui tremblait.
— Ça ira, père. Il ne faut pas vous inquiéter.
— Je m'arrangerai pour que tu puisses bénéficier de quelques minutes seule avec lui, après.
Une larme s'échappa de la paupière de Philippine. D'un geste volontaire, elle la faucha du dos de sa main avant qu'elle n'atteigne sa joue.
Les cloches se mirent à carillonner joyeusement.
Jacques de Sassenage recula pour lui présenter son coude.
— Il faut y aller, à présent.
Philippine accrocha ses doigts gantés à son bras. Dans l'encadrement de la porte qui venait de s'ouvrir, Algonde les attendait.
Depuis qu'ils s'étaient quittés
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