Le Chant des sorcières tome 3
devant la dépouille décapitée de Philibert de Montoison, Philippine n'avait pas revu Djem. Huit jours durant, elle avait attendu dans l'auberge, chez ses nouveaux amis qui, comme elle, se réjouissaient du temps qui passait et offrait à Djem toutes chances d'avoir atteint son but. Et puis son père avait reparu, seul avec ses hommes. L'espoir s'en était allé. Elle s'était effondrée. Il lui avait appris que Guy de Blanchefort avait suivi un itinéraire plus direct pour rentrer à Rochechinard. Son rêve brisé, elle avait quitté avec tristesse le relais du Bois joli . Aucun regard en arrière. Ni de sa part ni de celle de son père sur la tombe de Philibert de Montoison. Ce rat n'en valait pas la peine.
C'est à la faveur de leurs haltes durant le trajet que, Philippine lui ayant avoué sa faute dans les bras de Djem, Jacques de Sassenage l'avait mise au fait de sa stratégie pour contrer Marthe, réfléchie avec Aymar de Grolée et son jeune frère François quelques mois plus tôt.
Certaine de porter l'enfant de Djem et d'avoir perdu celui-ci à jamais, Philippine avait accepté la solution proposée.
À la Bâtie, rassasiés sur l'ordre de Sidonie des victuailles préparées pour les noces et qu'il aurait été dommage de perdre, les invités s'étaient peu à peu éclipsés. Ne restait que la joyeuse bande de courtisans et de dames de compagnie qui vivaient à demeure sous le toit de leurs seigneuries.
Parmi eux, revenu du Piémont sans difficulté, se trouvait Aymar de Grolée.
Philippine l'avait salué comme les autres, puis, laissant à son père le soin d'expliquer que Philibert de Montoison n'était plus digne d'elle mais que, souhaitant toujours se marier, elle étudierait toute demande qu'on lui ferait, elle s'était retirée dans sa chambre pour pleurer dans les bras grands ouverts d'Algonde.
Marthe n'avait pas été longue à surgir. Sans mot dire, le visage inexpressif, elle l'avait agrippée par le poignet d'une main crochue. L'autre s'était promenée sur son ventre. La satisfaction avait un instant adouci ses traits.
— Montoison ? avait-elle demandé, sans même prendre la peine d'une introspection supplémentaire.
— Mort, avait avoué Philippine. Après m'avoir violée.
Marthe avait haussé les épaules. Philippine enceinte ne pouvait l'être que de Djem. Quant à ce sot, il n'avait qu'à mieux se garder. Le reste, elle s'en accommoderait.
Elle était repartie en toisant Algonde d'un regard carnassier.
Deux jours plus tard, les bans étaient publiés, mais cette fois, plus de feste. On l'avait déjà donnée.
Philippine pénétra le visage haut dans l'église du château. Celle-ci était pleine. De ses prétendants écartés par Jacques de Sassenage et qui se demandaient encore pourquoi ; de ses dames de compagnie, excitées de ce revirement de situation ; de ses frères et sœurs qui, à l'exception de Louis, pris à part par son père et mis au fait du comportement de Philibert, se réjouissaient. De Djem et Nassouh enfin, désarmés et encadrés sur les bancs, près du transept, par Guy de Blanchefort et ses hommes.
Djem qui fixait le chœur pour ne pas la regarder.
Douloureusement consciente de sa présence, Philippine avança le long de la nef jusqu'à cet homme qui avait bien voulu l'épouser en sachant qu'elle portait l'enfant d'un autre et qu'il ne la toucherait jamais. Cet homme qui lui souriait avec générosité et qu'elle connaissait depuis l'enfance.
Aymar de Grolée, baron de Bressieux.
Acceptant devant l'autel la main qu'il lui tendait, elle se tourna vers le prêtre et attendit d'être mariée.
Sitôt les vœux prononcés et les anneaux échangés, Aymar de Grolée l'embrassa sur le front puis glissa à son oreille.
— Ayez confiance en moi.
Elle noua ses doigts aux siens. Les serra. Pour tenir. Ils se tournèrent vers la foule, levée pour les acclamer.
Elle croisa le regard de Djem, émacié d'une douleur sans nom. Il savait. Il savait la raison de ce mariage. Il savait l'enfant qu'elle portait. Jacques le lui avait révélé à la faveur d'une visite. Il savait que c'était le mieux à faire. Pour elle. Pour eux. Jusqu'à ce que Jacques de Sassenage trouve le moyen et les appuis du roi de France pour que l'on accepte sa conversion. Libéré.
Ils savaient. Tous deux. Et en crevaient.
La pâleur de Philippine, au regard des derniers événements dont nul ne sut véritablement la raison, passa pour normale. Le bras d'Aymar de Grolée
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