Le Chant des sorcières tome 3
mâchoire tuméfiée.
— C'eût été un autre que toi, je l'aurais tué, lui jeta Jacques de Sassenage avant de lui tendre une main secourable.
Aymar s'en saisit d'autant plus volontiers qu'il était coincé. Il gigota des pieds et des bras avant de s'extraire dans une nouvelle gerbe d'eau. Il se remit debout, dégoulinant, l'équilibre toujours incertain.
— Tu aurais pu viser, fit-il dans une moue désolée devant le carnage autant de leurs vêtements à tous deux que de la pièce.
Le comique de la situation rendit à Jacques de Sassenage un peu de couleur. Aymar vacilla sur sa botte mal enfilée. Instinctivement, Jacques le retint par l'épaule. Obtenant sous ses doigts un gargouillis de toile détrempée, il sourit.
Leur belle amitié n'était pas entamée, comprit Aymar de Grolée avec soulagement. Gagnant une chaise proche, il s'y laissa tomber et enleva cette botte à son pied.
Elle chuta à terre dans un bruit mat.
Pendant que, redressé déjà, il se déshabillait pour se changer, Jacques lui tendit une serviette encore sèche.
— Quoi qu'elle t'ait raconté, je suis seul responsable, dit Aymar en l'empoignant.
Jacques balla des bras, repris par un voile de tristesse.
— Nous allons la ramener à Bressieux, annonça-t-il.
Aymar immobilisa ses doigts sur sa brayette et jeta sur lui des yeux ronds.
— Avec Marthe qui rôde autour d'Hélène, ce serait pure folie !
— Et tout autant de la laisser ici avec la guerre qui se prépare, lui objecta Jacques de Sassenage.
— À choisir…
Jacques balaya l'air d'un geste agacé.
— Elle ne nous le laisse pas, ce choix. Elle rentre avec nous. Avec toi.
Aymar baissa les yeux.
— Use d'autorité. Tu es son époux.
Jacques eut un sourire désolé.
— Le pouvoir a changé de main, mon ami, il faut l'accepter. Jeanne doit être sur place lorsque Hélène accouchera.
Aymar sursauta.
— Pourquoi, grand Dieu ? N'a-t-elle pas assez risqué sa vie dans l'antre du diable qu'elle veuille l'affronter de nouveau?
Jacques se sentit las soudain du fardeau que portait Jeanne. De celui que porterait Aymar de Grolée bientôt. Un instant, il regretta de l'avoir frappé. Il l'avait fait sans humeur, sans colère, juste pour le geste. La punition, la vraie, viendrait plus tard, mais il ne la souhaitait pas. Ni l'un ni l'autre ne méritaient cela.
Il le fixa intensément, puis détourna les talons.
— La réponse ne m'appartient pas, mon ami. C'est elle qui te la donnera. Hâte-toi. Elle t'attend bien plus qu'elle ne m'attendait moi.
Ils quittèrent le château de Revel quatre jours plus tard, leurs affaires avec Saluces réglées. Jeanne avait étreint l'autre Jeanne sur son cœur, avait remercié le marquis pour son hospitalité. Plus d'animosité dans le regard de ce dernier. À voir l'entente des deux hommes inchangée, il avait accepté que certaines choses lui échappent. De plus, Jacques de Sassenage lui avait assuré qu'il reviendrait avec l'host royal pour faire entendre raison au duc de Savoie, sitôt l'hiver passé. Jusque-là, ils le savaient tous trois, rien ne bougerait.
Jeanne partit donc sur un mulet, couverte de la tête aux pieds par un épais manteau de peau de mouton retournée, entre ces deux hommes d'autant plus chers à son cœur qu'ils s'étaient alliés une fois de plus pour la protéger. La neige n'avait pas tenu, mais le brouillard avait givré de blanc branchages et brins d'herbe. Il enveloppait tout dans une ouate satinée.
Le froid, précoce cette année, desservait leur voyage, mais ils n'avaient d'autre choix que de le tenter.
Laissant la ville de Saluces à sa droite, Jacques de Sassenage qui menait le convoi leva les yeux en direction des montagnes. L'horizon bouché était de mauvais augure pour franchir les nombreux cols qui les attendaient. Considérant l'état de Jeanne et celui des sentiers, sans doute déjà avalés par la neige, il ne pouvait préjuger du temps qu'il leur faudrait pour atteindre leur but. Ils avaient pris leurs précautions en ce sens. Quatre mulets les suivaient, chargés de provisions pour une longue période, et il savait pouvoir compter sur les nombreuses cabanes de bergers pour les réchauffer à la nuit tombée et durant la journée même, si le temps s'aggravait.
Optimiste de nature et rassuré par l'étonnante résistance de Jeanne, il baissa le front sous une rafale et laissa son cheval trouver l'allure qui lui convenait.
À l'arrière, en tête de leur escorte
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