Le Chant des sorcières tome 3

longuement, se nourrissant d'un rêve déchu. Puis, les bras de Jeanne retombèrent et Jacques s'écarta. Gêné.
    — Pardonnez-moi, dit-elle d'une voix blanche… Tant de choses se sont passées… Je ne suis plus celle que vous avez connue. Plus celle que vous avez aimée.
    C'était clair. Au lieu de s'en réjouir, le cœur de Jacques se serra pourtant. Il toussota dans son poing fermé. Affermit sa voix.
    — Vous demeurez ma femme, Jeanne. Cela seul doit compter.
    Elle sourit dans le noir. Elle avait compris, elle aussi. Mais à l'inverse de lui, soudain, elle se retrouva en paix. Elle s'approcha et revint se blottir contre lui, la joue contre sa chemise, les mains à plat contre son torse épais qui se soulevait de manière un peu trop rapide. Il referma ses bras sur elle pour la bercer doucement.
    Ils se devaient d'apprivoiser la réalité comme une alliée. Pour ne rien gâcher.
    La voix de Jeanne se fit compréhension. Caresse.
    — Sidonie méritait l'amour que vous lui avez donné. Je ne vous en veux pas de m'avoir survécu. Au contraire.
    Il embrassa sa chevelure parfumée, soulagé.
    — Je vous aime toujours.
    — Mais plus comme il devrait. Ne le niez pas. Je le sens. Je le sais.
    — Je vous comblerai pourtant. J'effacerai de votre mémoire ces…
    Se repoussant légèrement du plat de ses mains, elle releva la tête.
    — Non, Jacques. Le passé ne peut être défait. L'avenir, en revanche, voilà ce que nous devons changer. Vous souvenez-vous de ce jour où tout a basculé ? où je suis partie pour Saint-Just-de-Claix ?
    — Comment l'oublier ? répliqua-t-il douloureusement.
    — La nuit précédente, j'avais eu une vision, si inconcevable alors, que malgré la menace de Marthe, j'ai voulu chercher l'aide de la révérende.
    Il déglutit.
    — Vous savez donc comment la déjouer…
    Elle se libéra de son étreinte. Recula de quelques pas, rendue soudain fébrile.
    — Je le sais, oui. Écartez ce volet, voulez-vous ? Il est temps que nous nous montrions l'un à l'autre, tels que nous sommes ce jourd'hui et non plus tels que nous avons été.
    Jacques se rapprocha de la croisée. La voix de Jeanne le cueillit alors qu'il relevait le loquet.
    — Avant de vous retourner et de me juger, sachez que je vous ai aimé. Je vous ai aimé follement et jusqu'à ces dernières semaines, bien au-delà de ce qu'il est concevable d'aimer.
    Le cœur du baron palpita dans sa poitrine. Il plissa les yeux.
    Le jour, blafard, inonda la pièce et, avec elle, la vérité.
    *
    Aymar de Grolée trompait sa fatigue en s'attardant dans le bain que leur hôte lui avait fait préparer. Comme la dernière fois, un étage séparait sa chambre de celle de Jeanne de Commiers dans la tour ronde. Comme la dernière fois avant de la quitter, et, depuis, il ne parvenait pas à la sortir de ses pensées. Certes, il avait épousé Philippine ainsi qu'il l'avait promis, mais sa ressemblance avec Jeanne, cette ressemblance qui l'avait séduit quelques mois plus tôt, le bouleversait désormais. Pour ajouter à cela, il se sentait coupable. S'il n'avait tenu qu'à lui, si l'honneur de Jeanne n'avait dû en souffrir, il aurait profité du voyage jusqu'à Revel pour avouer à Jacques sa trahison. Ils se seraient battus sans doute, comme il se doit pour laver un honneur bafoué. Puis, leur amitié aidant, leur objectif aidant, ils se seraient réconciliés. Aymar de Grolée aurait eu au moins la conscience en paix à défaut du cœur.
    Au lieu de quoi il souffrait mille morts de les imaginer l'un et l'autre enlacés, tout en se disant qu'il était pour beaucoup dans ces retrouvailles et n'avait pas le droit de les gâcher.
    Il finit par sortir de l'eau, glacée à présent, se sécha vigoureusement et s'habilla en se fustigeant de son laisser-aller. Il était plus que temps de rejoindre Louis II de Saluces qui devait s'impatienter.
    Un pied levé, en équilibre instable, les deux mains agrippées au cuir récalcitrant, Aymar tentait d'enfiler une de ses bottes à son mollet encore humide lorsque la porte s'ouvrit. Surpris qu'on ne se soit pas annoncé, il pivota de la tête pour voir Jacques de Sassenage aussi calme que livide fondre sur lui.
    Il n'eut pas le temps des questions. La réponse lui vint d'un crochet du gauche qui le renvoya le cul dans la largeur du baquet qu'il venait de quitter, éclaboussant le parquet alentour.
    — J'aurais préféré que tu me laisses t'expliquer, commenta seulement Aymar, en frottant sa