Le Chant des sorcières tome 3
leur rétorquait que Mounia n'étant pas la sienne, il n'avait aucune raison de se plier à cette coutume. Pour les obliger à se taire, chaque soir il changeait de femme. Mounia s'en amusait. Dès que ses relevailles seraient avérées, elle les supplanterait toutes. Oui, toutes. Pour son fils.
Reportant son regard tendre sur lui qui dormait dans ses bras, elle vacilla de fatigue.
— Quelque chose ne va pas, maîtresse ? s'inquiéta l'eunuque.
Mounia secoua la tête.
— Être mère est plus épuisant que je ne le pensais. Je vais me coucher. Bonne nuit, Moussa.
— Bonne nuit, maîtresse.
Elle n'eut que le temps de border son fils après l'avoir embrassé et de s'étendre, avant de sombrer dans un sommeil de plomb, sans imaginer une seconde qu'on avait versé un somnifère dans son thé inachevé.
Moussa attendit quelques minutes encore avant de s'approcher de la balustrade et de lancer trois sifflements courts. Quelqu'un lui répondit à l'étage inférieur. Il recula. Un crochet balaya l'air, vint s'agripper entre les barreaux de pierre. Moussa regagna la chambre, vida le panier de fruits, le tapissa de linges. Un regard vers le lit. Mounia dormait profondément. Il prit délicatement Khalil dans ses grosses mains et le déposa dans son nouveau lit d'infortune sans lui arracher le moindre gémissement.
Agile, un homme sautait déjà sur le balcon. Moussa lui tendit le panier.
— Nous sommes bien d'accord, dit-il. Plus jamais.
L'homme, un Bohémien auquel le grand vizir avait accordé l'hospitalité, hocha la tête.
— Nous partons à l'aube et ne reviendrons pas. Sois sans crainte.
Le Bohémien coinça l'anse entre ses dents solides et redescendit avec autant de facilité qu'un des singes avec lesquels il travaillait. Moussa quitta les lieux sans remords sitôt après.
Il n'aimait pas cette femme à laquelle on l'avait attaché. D'autant moins qu'il en servait une autre depuis de longues années.
Ihda, qu'il venait de venger.
*
Le songe de Philippine était si doux qu'elle ne réagit pas à la caresse sur son front. Elle sourit pourtant dans son sommeil, certaine de percevoir la main de Djem suivant les contours de son visage. Chaque nuit, il venait près d'elle, lui susurrait des mots d'amour et d'espoir qui, au jour levé, la laissaient pantelante et tour à tour désespérée de son absence ou nourrie de confiance.
La veille, deux lettres étaient arrivées. Par l'une, Laurent de Beaumont annonçait à Marie de Dreux la date du 12 mai pour leurs épousailles. L'autre, venue de la Bâtie, était signée de Djem. Voulant tromper ses geôliers, le prince entretenait avec Jacques de Sassenage une correspondance régulière masquant les lettres qu'il écrivait à sa dulcinée. Comme les autres, la missive s'était voulue rassurante, mais plus encore.
Songez combien je pense à vous et à cet enfant qui va naître. Donnez-lui de l'amour, autant que j'en suis privé , soupirait Djem en conclusion. Ces mots-là avaient hanté Philippine depuis qu'elle s'était couchée. L'amour serait-il suffisant pour sauver leur fils des griffes maléfiques de Marthe et de Mélusine ?
« Oui », était venu lui chuchoter Djem à l'oreille. Du coup, éperdue de tendresse, elle goûtait cette caresse sans prendre conscience qu'elle était vraie.
Jeanne de Commiers, penchée au-dessus d'elle, se gorgeait de ce visage détendu que sa chandelle posée près du lit lui révélait enfin comme le miroir d'elle-même. Les larmes aux yeux d'un bonheur immense, alors même que son ventre se tordait, elle reculait le moment d'arracher sa fille au sommeil pour la plonger dans la noire réalité.
Il le fallait pourtant.
Elle posa un baiser sur sa joue.
— Hélène, ma toute-petite, murmura-t-elle.
Philippine grogna dans son rêve fissuré. Cette voix au souvenir d'enfance faisait s'éloigner le prince. Elle voulut se retourner sur le côté, mais quelque chose la retint avec fermeté. Elle ouvrit les yeux. Jeanne la lâcha aussitôt pour reculer dans l'ombre du rideau de lit, intimidée soudain de ces retrouvailles tant espérées.
— Qu'est-ce que c'est ? s'inquiéta Philippine en se dressant sur sa couche, fouillant les alentours du regard.
Jeanne se mit à trembler d'émotion. Avança d'un pas, un sourire timide aux lèvres. Incapable de parler.
Philippine fronça les paupières. Rêvait-elle encore ? Curieuse sensation en vérité que de se voir à quelques pas d'elle-même avec son
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