Le Chant des sorcières tome 3
insistance. Le corps lourd ce soir, elle se sentait irrésistiblement attirée par le sommeil. Il était tôt pourtant, à en croire les muezzins qui s'égosillaient au sommet des minarets d'Istanbul.
Bayezid l'avait quittée la veille pour régler une affaire en Anatolie, la laissant sous la surveillance étroite de la Khanoum la journée et de deux eunuques la nuit. L'un tenait sa porte. L'autre, la terrasse, jusqu'à ce qu'elle soit endormie. Mounia ne s'en offusquait pas. Elle n'avait plus de raisons de fuir et voyait dans l'inquiétude de Bayezid une preuve de son attachement chaque jour grandissant.
Un regard de biais à son fils, qui lui prenait le sein, lui confirma qu'il s'était assoupi contre elle.
— Khalil. Mon tout-petit. Il est l'heure pour ta mère de se coucher aussi, bâilla-t-elle encore, en s'arrachant difficilement des coussins qui meublaient de couleurs vives ce coin de chambre.
Le nourrisson grogna. Comme elle, il aimait ce contact. Le berçant d'un balancement de coude, Mounia descendit le petit escalier pour gagner l'ouverture ronde de la terrasse.
La prière était terminée, ramenant le silence sur le palais de Topkapi.
Elle passa sous les voiles orangés qu'une brise fraîche soulevait et se retrouva dehors avec les étoiles pour toit et la vieille ville à ses pieds. La Corne d'Or miroitait sous la lune.
Moussa s'arracha du mur contre lequel il veillait et vint s'incliner devant elle, les bras en croix sur sa poitrine épaisse.
— Désires-tu quelque chose, maîtresse ?
Elle lui sourit aimablement.
— Rien qu'un peu d'air avant d'aller dormir. La nuit est douce, tu ne trouves pas ?
— Si. Tu as raison d'en profiter.
Il la salua de nouveau avant de se laisser avaler par l'ombre. Mounia inspira l'air épicé.
Elle se sentait libre.
Elle avait gagné.
Le lendemain même de ses couches, Bayezid était venu la rejoindre dans les appartements de sa mère, en utilisant la porte dérobée. Aucune de ses femmes ne l'avait su, la Khanoum y avait veillé. Mounia, qui allaitait son fils, ne s'était pas levée pour l'accueillir, se contentant de le saluer d'un sourire enjoué. Il s'était approché, félin, avait dégagé d'un doigt précautionneux le tissu qui masquait le visage de l'enfant.
— Khalil, avait-il dit. C'est le nom qu'il portera.
— Il me convient, avait assuré Mounia.
Bayezid l'avait embrassée sur le front.
— Tu es une curieuse personne, Mounia. Très curieuse. Mais ça me plaît. Demain, et jusqu'à ce que j'aie découvert qui a tenté de t'empoisonner, tu prendras tes quartiers dans mes appartements.
— Et si vous ne trouviez jamais ?
Il avait éclaté de rire en la couvrant d'un œil tendre.
— Allah est seul juge.
Elle avait quitté le harem le front haut, sous le regard furieux de la première épouse de Bayezid, repoussée une nouvelle fois.
Pour autant, Mounia n'avait pas été dupe.
Bayezid l'avait laissée se remettre une semaine, pris par ses affaires. Chaque jour pourtant il visitait son fils, sans aborder le sujet qui le tourmentait. Il avait fini par y venir et Mounia lui avait raconté la fable qu'elle avait préparée au sujet du flacon pyramide. Il était dans sa famille depuis de longues générations. Djem avait appris son étonnant pouvoir de contrepoison. C'était une des raisons pour lesquelles il l'avait épousée. La raison aussi de son empressement à la retrouver dès lors qu'il s'était rendu compte qu'elle le lui avait repris. Elle n'avait pas menti en affirmant l'avoir volé à Hugues de Luirieux.
— Je connais d'autres secrets, mon sultan, avait-elle ajouté. Bien d'autres qui ont trait aux Hautes Terres. Sans moi, sans eux, tu ne les trouveras jamais, malgré ces cartes que nous avons regardées.
Ses yeux s'étaient rétrécis, mais Mounia n'avait pas cillé.
— Je veux les conquérir à tes côtés.
Il avait sursauté.
— Ce n'est pas la place d'une femme.
— Ce sera la mienne et celle de notre fils.
Bayezid était parti en claquant la porte, refoulant l'envie de la faire fouetter pour son insolence. Mais, Mounia le savait, c'était sa détermination qui lui plaisait.
Ils n'en avaient plus reparlé.
Khalil était trop petiot encore pour envisager d'autre solution que d'attendre. Mounia y était prête. Bayezid le serait aussi, tôt ou tard. Son comportement à son égard le prouvait. Ses conseillers, son grand vizir même avaient beau lui dire que la place d'une épouse était au harem, il
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