Le Chant des sorcières tome 3
s'écroulait autour d'elle. Philibert de Montoison savoura sa vulnérabilité.
— Crois-tu donc que je sois homme à me satisfaire de si peu ?
Comprenant soudain qu'elle allait être, elle aussi, victime de ce piège, elle voulut reprendre sa main.
— Allez-vous-en, laissez-moi, supplia-t-elle.
Il resserra plus fort sa tenaille.
— Allons, ne fais pas de manières, tu y trouveras ton content bien mieux qu'avec Beaumont, crois-moi.
Dans un réflexe, elle balança sa main libre pour le gifler. Il la bloqua et se jeta sur elle.
10
Au lieu de la guider, les petits rires étouffés de ses damoiselles de compagnie agaçaient Philippine. Elle détestait avoir les yeux bandés lorsqu'elle jouait à colin-maillard. Enfançonne, elle s'était écrasé le nez contre un tronc de frêne en se prenant les pieds dans une de ses racines protubérantes et avait gardé la face ravagée pendant deux semaines. Elle avançait à pas comptés, les mains tendues, sous les moqueries à peine déguisées de ces oies. Cancan, cancan, cancan. Voilà leur discours permanent. Elle tournoya sur elle-même. Le jardin qui jouxtait le pavillon d'été où l'on donnait quelques farces recelait des bosquets où elles pouvaient se dandiner à l'envi en la trompant du froissement des feuilles. Par ici, par là, chuchotaient-elles pour mieux la perdre. Quelques minutes encore et sa patience serait vaincue. Elle arracherait de ses yeux le bandeau en maudissant la courte paille qui l'avait désignée. Pour punir ces idiotes, elle tomberait le masque. Montrerait le visage de tristesse qu'elle cachait derrière cette débauche de jeux, de fête. On se précipiterait pour l'interroger et elle avouerait combien Algonde et le prince Djem lui manquaient. Combien étaient vides de sens ses jours à les attendre l'un et l'autre. Voilà ce qu'elle se disait, tout en sachant pertinemment qu'elle ne pouvait pas se libérer le cœur et que c'était vers le carré de roses que les chuchotis la menaient immanquablement. Leur parfum suave s'amplifiait et avant longtemps leurs épines grifferaient sa jolie robe pivoine.
Tant pis. Ce jourd'hui encore elle subirait la victoire de ces pimbêches. Soudain elle se figea. Portée par un souffle tiède, une senteur de mousse des sous-bois aguicha sa narine gauche. Elle glissa le pied dans cette direction, le cœur trépidant, cherchant dans ses souvenirs du jardin si quelqu'une de ses compositions pouvait en être à l'origine. Un peu plus loin à senestre, il y avait ce banc de pierre sculpté de colombes. Le jardinier en grattait régulièrement les contours humides. Avait-il oublié de le nettoyer ? À moins que ce ne fût l'allée de roses trémières que bordaient les buissons de buis ? Elle hésita, huma l'air autour d'elle, tressaillit d'une respiration proche. Avança une chaussure, l'autre, et rencontra une peau douce sous ses doigts tendus. Son cœur s'accéléra dans sa poitrine. Elle en connaissait le grain, en retrouvait la fermeté. Elle prit le temps pourtant de suivre l'ovale du visage, l'arête du nez, la ligne des cils baissés, puis comme une gourmandise, certaine à présent de son fait, le galbe charnu des lèvres.
— Je suis heureuse de vous revoir parmi nous, damoiselle Algonde, s'exclama-t-elle.
Les applaudissements de ses dames de compagnie rythmèrent le rire cristallin de la jouvencelle. On lui ôta son bandeau et Algonde, pétillant de son propre bonheur à la retrouver, s'inclina avec grâce devant elle.
Quelques minutes plus tard, délaissant ces dames qui engageaient une nouvelle partie, les deux amies passaient sous un porche de vigne rouge pour gagner le pied d'un tertre rocheux piqué de touffes de valérianes et de violettes. Un bassin d'eau claire alimenté par une source habillait l'enclave de granit. Elles s'assirent sur la margelle à hauteur de genoux, isolées des regards par la frange de végétation et des oreilles indiscrètes par le clapotis de l'eau. Sur l'insistance de Philippine, Algonde se mit en devoir de lui conter son voyage.
La roche écartée en silence sur son mécanisme secret, Marthe s'arrêta net au seuil du passage qu'elle venait de franchir pour regagner le château de la Bâtie, à l'insu de ses habitants. À deux pas d'elle derrière l'écran végétal, le timbre à peine assourdi d'Algonde l'empêcha d'avancer. D'ordinaire l'endroit était désert, un peu à l'écart des jardins d'agrément et du carré des simples cultivés
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