Le Chant des sorcières tome 3
de l'homme que j'aime.
Algonde fouilla dans la bourse à sa ceinture.
— Tout cela est inquiétant, je te l'accorde. Il est donc urgent de lui confier l'élixir que tu m'as commandé.
Le visage de Philippine s'éclaira avant de se rembrunir devant le flacon anodin qu'elle lui présenta.
— Est-ce bien le même ? Où est la fiole pyramidale qui le contenait avant que tu ne l'absorbes pour te guérir toi-même ?
— La sorcière l'a jugée trop voyante et reconnaissable. Qui l'a dérobée une fois pourrait vouloir recommencer. Dans ce récipient la potion passera inaperçue. Explique-le au prince Djem.
Philippine se contenta de cette justification et empocha le flacon avant de prendre un air gêné.
— T'a-t-elle dit autre chose ?
— Autre chose comme quoi ?
— Au sujet de mes épousailles par exemple…
Algonde n'eut pas le temps de lui répondre.
Un bruissement de feuilles attira son attention en direction du jardin qu'elles avaient quitté tantôt. Elle plissa les yeux et accrocha le chatoiement d'une étoffe mordorée. Abandonnant Philippine, elle bondit, certaine qu'une de leurs compagnes venait de les espionner.
Cette poursuite ravit Marthe. Alertée par l'évocation du flacon pyramidal au contenu capable de remettre Algonde sur pied, elle abandonna toute réserve. Il lui suffit de quelques pas pour surgir derrière la jouvencelle, un chant au bout des lèvres. Immobilisée par le charme, Philippine ne manifesta de réaction que dans son regard effrayé lorsque Marthe s'accroupit devant elle.
— Et si tu m'en disais davantage sur ce flacon pyramidal, ma jolie ? entendit Philippine loin derrière ses tympans.
Incapable de se soustraire à son emprise, elle raconta dans un murmure tout ce qu'elle savait.
Catherine de Valmont. Sitôt qu'elle l'eut reconnue à sa mise, Algonde força l'allure, les pensées s'entrechoquant sous son hennin bousculé par la course. Simple indiscrétion de la part de cette damoiselle ? Algonde l'avait supposé avant de la voir détaler pour rejoindre le groupe des dames de compagnie que le jeu avait éloigné d'un autre côté du parc. Visiblement, elle n'avait pas deviné qu'Algonde la pourchassait. Profitant de cet avantage, la jouvencelle décida de la prendre par le revers. Agaillardie par le pouvoir des Anciens qui coulait en ses veines, elle ne fut pas longue à lui barrer la route. À peine essoufflée, elle eut le temps de rajuster sa coiffe avant de la voir surgir entre deux bosquets. Adossée sur le bas-côté à un cognassier sinueux, Algonde lui offrit un sourire engageant.
— Vous voici bien loin de vos amies, ma chère Catherine.
L'autre sursauta, doutant un instant d'elle-même et de ce qu'elle venait de surprendre. De fait, il était impossible qu'Algonde se trouvât là.
— Un besoin. Pressant, se justifia-t-elle sans s'arrêter, les joues rouges encore du feu de son échappatoire.
À deux pas de là, devant elles, une tonnelle longue de huit pieds au plafond de vigne rouge et de roses mêlées ramenait vers l'esplanade du château. Il était de coutume pour les amoureux d'y échanger quelque baiser discret, protégé par l'ombre et la fraîcheur qui y régnaient. Pour l'heure elle était déserte, et à moins d'abîmer sa robe dans les massifs épineux qui la cernaient, Catherine n'avait d'autre choix que de la traverser.
Algonde percevait sa crainte. Les doigts s'étaient crispés sur les pans de ses jupes qu'ils relevaient pour les empêcher de traîner sur le sol. Le front s'était plissé légèrement, les mâchoires contractées. Ce n'était pas le comportement d'une innocente. Algonde en fut certaine à l'instant. Catherine de Valmont avait habilement caché une nature d'intrigante. Restait à savoir qui elle servait.
S'aidant de ses paumes ramenées contre le tronc d'arbre, Algonde se propulsa en avant et lui barra le passage.
Ramenant la main à hauteur de son cœur, Catherine laissa échapper un petit cri de surprise.
— Sang Dieu ! damoiselle Algonde ! Voulez-vous donc me faire mourir à pareilles manières ?
Algonde refusa de se laisser prendre à sa mine effarouchée, son visage se ferma.
— Ce n'est pas exclu, répliqua-t-elle en lui empoignant l'autre bras sans ménagement pour l'entraîner vers la tonnelle.
— Voulez-vous bien me lâcher ? Vous me faites mal, se défendit Catherine en tentant de se dégager.
Algonde resserra son emprise. Vaincue par sa force étonnante autant que par sa
Weitere Kostenlose Bücher