Le Chant des sorcières tome 3
cette fantastique nuit dans le nuraghe, les esprits des Géants avaient cessé de hanter la vallée. L'étreinte de l'Égyptienne et d'Enguerrand au-dessus du puits sacré les avait mis en paix. Pour autant, Catarina avait jugé bon de n'en rien dire à personne. La crainte du nuraghe et de ses fantômes lui assurait une tranquillité et des privilèges auxquels elle aurait peut-être été contrainte de renoncer. Il valait mieux pour leur bonheur à tous que nul ne sache jamais ce qui s'était passé. Mounia en était d'autant plus convaincue qu'elle s'était attachée à ces femmes, à ce lieu. Elle en savourait la quiétude comme un présent divin. Parce qu'elle savait au plus profond d'elle-même que ce temps d'insouciance et de liberté lui était compté. Dès qu'ils quitteraient l'île, la rapacité des hommes les rattraperait. Lors, il lui faudrait garder au cœur un peu de cette terre d'asile pour trouver en elle la force de continuer la mission que les Géants lui avaient confiée.
*
Jacques de Sassenage s'inclina avec déférence devant la grande abbesse de l'abbaye de Notre-Dame-des-Anges. À son front soucieux et à ses yeux cernés, il comprit que ses craintes étaient fondées. Isabelle de Baternay n'aurait jamais quitté Saint-Just-de-Claix sans une raison primordiale. Il l'invita à prendre un siège, la gorge sèche d'angoisse.
Elle refusa d'un geste las de la main.
— J'ai peu de temps devant moi, mon fils. Je ne le perdrai pas en convenances. Un malheur, un immense malheur, a frappé l'abbaye.
Une sueur froide balaya Jacques de Sassenage tandis que l'abbesse poursuivait, l'œil brumeux.
— Jeanne a disparu.
Jacques exhala un soupir de soulagement. Ainsi donc Bressieux avait réussi. Plus tôt qu'il n'était convenu et sans impliquer qui que ce soit. Le baron de Sassenage ne laissa rien paraître de son contentement. Tout au contraire, il fronça les sourcils et secoua la tête, suspicieux.
— Comment peut-on disparaître d'un couvent comme celui de Saint-Just ?
— Le diable, mon fils. C'est le diable qui l'a emportée.
— Comme vous y allez, ma mère ! tempéra Jacques en ouvrant un meuble duquel il sortit un flacon de liqueur.
L'abbesse, vaincue par le souvenir des heures terribles qu'elle venait de passer, se laissa finalement choir entre les bras du faudesteuil.
— Ce n'est pas tout, mon fils. Sœur Albrante a été assassinée de la manière la plus horrible qui soit.
Glissant de ses doigts soudain glacés, la bouteille s'écrasa dans un bruit mat aux pieds de Jacques. Il chancela, rattrapé par l'effroi. Jamais Aymar de Grolée n'aurait malmené une religieuse. De plus, sœur Albrante était bien trop attachée à Jeanne pour s'opposer à leur plan. Fallait-il donc en conclure… En deux enjambées, il fut devant l'abbesse et la prit par les avant-bras.
— Racontez-moi, ma mère. Tout ! exigea-t-il avec une violence qui surprit autant la révérende mère que lui-même.
*
Aymar de Grolée ne démordit pas de l'excuse qu'en quelques secondes il s'était inventée. Il désirait confier une parente à cette communauté et c'était dans ce dessein et ce dessein seul qu'il voulait rencontrer l'abbesse. Assis face à ces trois dominicains qui depuis une demi-heure cherchaient une quelconque faille à son discours sous d'innocentes questions, il demeurait de marbre. En vérité, intérieurement il bouillait.
En désespoir de cause, les moines s'attroupèrent dans un angle du bureau de la révérende mère, palabrèrent un moment en silence avant de s'écarter. Deux quittèrent la pièce à pas de fouine ; le troisième, celui qui l'avait intercepté dans la cour, revint vers lui, le visage adouci.
— Je suis le père Gabriel. Pardonnez cet interrogatoire, mon fils, mais le Malin revêt parfois le visage d'un ange pour mieux nous duper.
Aymar de Grolée hocha la tête. Il détestait les préambules. Tout autant que les manières de ces gens qui attachaient sur le bûcher quiconque leur déplaisait. Et encore, il devait s'estimer heureux de n'être pas en Espagne.
— Me direz-vous à la fin ce que toutes ces précautions signifient ? Pourquoi la révérende ne peut-elle me recevoir le plus simplement du monde ?
L'homme dodelina de la tête mais ses yeux restaient sournoisement vifs.
— Si vous voulez bien me suivre…
Aymar de Grolée se retrouva ainsi à l'intérieur de l'hospice aux ouvertures barrées. Armés de lanternes, les deux dominicains les
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