Le Chant des sorcières tome 3
jouer à Saint-Just.
D'un mouvement ample du poignet il signa sa missive, la replia, chauffa un bâtonnet de cire à cacheter et la scella de ses armes. Quelques minutes plus tard il la remettait à son valet en lui recommandant comme chaque jour de prendre grand soin à son expédition. Ensuite de quoi il se hâta de rejoindre la salle de justice dans une autre aile du bâtiment octogonal. Une méchante histoire de voisinage requérait son jugement. Une fois par semaine, serfs ou nobliaux se présentaient devant lui pour régler leurs différends. En franchissant le seuil de la pièce décorée sobrement, il songea combien il eût aimé que ses problèmes à lui soient si simples. Sans se presser, il s'en fut s'asseoir au sommet d'une estrade, sur un trône de bois sculpté. Derrière lui, une tapisserie d'Aubusson figurait une Justice allégorique sous la forme d'une balance qui penchait vers des angelots tandis que des diables cornus sautaient sur le plateau opposé. Le bien gagnait. Toujours.
La matinée s'achevait lorsqu'un valet s'annonça, en pleine audition d'un potier qui s'était vu frapper devant chez lui par son voisin, lequel prétendait que le passage, mitoyen, devant les deux masures collait aux souliers et les gâtait. Ces deux-là, cousins par la mère, ne s'entendaient plus depuis des années et ne cessaient de se chercher querelle pour des broutilles. Jacques était lassé de les voir. D'un geste engageant, il encouragea le valet à venir jusqu'à lui, regrettant que son fils Louis ne soit pas encore rentré de Romans pour lui déférer les doléances des plaignants.
Le valet se pencha à son oreille. Les doigts de Jacques se crispèrent sur l'accoudoir du faudesteuil. Sans attendre, il se leva.
— Toi, dit-il en regardant froidement le potier, veille à nettoyer ton chemin des boues que ton travail occasionne. Quant à toi, ajouta-t-il en lançant au voisin un regard terrible, cela fait trois fois en quatre mois que tu comparais ici pour te plaindre. À la prochaine, si le cas ne justifie pas le temps que tu me fais perdre, je te ferai bastonner en place publique. La cause est entendue. Filez !
Un murmure d'effroi passa dans l'assistance curieuse du règlement des procès. Sans s'inquiéter des regards choqués qui l'accompagnèrent, Jacques de Sassenage se dirigea d'un pas lourd vers le fond de la salle.
Le visage fermé, il s'adressa aux deux gardes armés de hallebardes qui encadraient l'huis.
— Évacuez la salle. La séance est terminée.
Indifférent aux grognements de réprobation de ceux qui attendaient leur tour, Jacques de Sassenage sortit sans se retourner, oppressé d'angoisse face à la visite qu'on venait de lui annoncer.
*
Le baron de Bressieux, Aymar de Grolée, n'était pas homme à reculer devant le danger. Il l'avait prouvé à maintes reprises en s'illustrant aux côtés de son ami Jacques de Sassenage du temps où l'un et l'autre servaient feu le roi Louis XI. Et dernièrement encore, le grand tournoi de Romans avait vu sa victoire à la lance comme à l'épée sur nombre de prétentieux qui raillaient son grand âge. À quarante-sept ans, il était loin d'être fini et à dire vrai, depuis que Jacques de Sassenage lui avait confié son tourment, dans ce vieil ermitage de la forêt des Coulmes, une vigueur nouvelle avait chassé l'apathie d'une retraite sans véritable danger. Souvent au long de ces derniers mois il s'était demandé si l'attachement profond qu'il vouait à Philippine était la résurgence de celui qu'il avait porté à Jeanne de Commiers ou le seul fait de sa jeunesse, de sa joliesse et de sa légèreté. Philippine ressemblait tant à sa mère ! Il ne doutait plus désormais. Apprendre que Jeanne était en vie, recluse dans cette abbaye, l'avait bouleversé plus qu'il ne l'avait montré. Il était prêt à mourir pour elle, comme autrefois. S'il ne s'était jamais marié c'est qu'aucune autre n'avait su autant lui plaire, l'émouvoir, le toucher. Si par le passé, à un quelconque moment, Jeanne lui avait laissé entrevoir qu'elle ressentait pour lui le même penchant et regrettait ses épousailles avec Jacques, nul doute qu'il aurait assiégé la Bâtie pour la lui prendre. Cela n'avait pas été. Jeanne ne lui était pas destinée. Il y était résigné depuis de longues années, avant même que son trépas ne le fauche en plein cœur. Pour autant, il lui restait fidèle. Et dévoué.
Voilà pourquoi il était si impatient de franchir
Weitere Kostenlose Bücher