Le Chant des sorcières tome 3
Bousculant Algonde, la jouvencelle avait insisté pour qu'elles partent chevaucher ensemble. De ce promontoire, Philippine pourrait suivre la route qui serpentait vers l'Isère. Qu'importe si elle devait y passer la journée, elle voulait guetter le retour du prince. Se gorger de l'attente. Brûler d'impatience sous le soleil de juin. Et ne vivre plus, dès lors que se refermeraient sur lui les portes de la forteresse, que de la pensée du lendemain.
Installée sous un frêne aux branches ployées, Philippine scrutait donc l'horizon tandis qu'Algonde ruminait, le cœur lourd, les événements de la nuit. Certes, elle comprenait ce qui avait poussé Mathieu à cette alliance sordide, mais elle ne pouvait l'excuser. Quant à lui en parler… elle ne savait si c'était une bonne idée.
— N'est-ce point lui, là-bas ? s'étrangla Philippine en bondissant de la couverture dont elles avaient jonché le parterre.
Les mains en visière, la jouvencelle suivit le tracé de la route. Deux cavaliers. Elle se rassit en soupirant. L'escorte de Djem était bien plus nombreuse.
— Je suis si nerveuse. Est-ce normal ?
— L'amour donne des sueurs froides parfois, répondit laconiquement Algonde.
Coupant un brin d'herbe, elle le porta à ses lèvres avant de s'étendre, les bras repliés sous la nuque. Philippine s'inquiéta.
— Un souci avec Mathieu ?
Algonde lui sourit.
— Déjà oublié.
Philippine hocha la tête.
— Tu me trouves puérile, n'est-ce pas ?
Algonde ne répondit pas. Elle l'avait été aussi. Insouciante, légère, portée par l'amour de Mathieu. Le temps était loin où ils se pourchassaient jusqu'au Furon, s'étreignaient dans l'eau douce, s'aspergeaient de promesses. Si loin qu'elle se demandait parfois si elle avait vraiment connu tout cela. Il lui semblait que des siècles s'étaient écoulés depuis qu'elle avait chuté dans le torrent, depuis qu'elle avait pour la première fois rencontré Mélusine. Or, cela faisait un an à peine.
— Je crois que je ne pourrais pas vivre sans lui désormais, chuchota Philippine. Même ta peau n'a plus d'attrait.
Elle se reprit.
— Non que je ne t'aime plus, Algonde, mais…
— … tu le désires lui.
— Si fort que j'en tremble chaque nuit dans ma couche. J'ignorais que l'on pouvait ressentir une émotion si vive, si entière. Tout l'inverse de ce que m'inspire le sire de Montoison. Dire qu'il va me falloir de nouveau les supporter, lui et Louis, pour approcher Djem. Je ne sais pas si je pourrai me contenter longtemps de ces moments volés. Louis trouvera toujours quelqu'un pour m'espionner. Sans compter que Philibert va se montrer plus pressant désormais.
— Djem en est conscient.
Philippine laissa passer un moment de silence avant de reprendre :
— Combien de temps crois-tu qu'il faille à l'Église pour convertir un musulman à la chrétienté ?
— Le temps que Djem se décide. Celui d'apprendre le catéchisme, celui du baptême… Je ne peux te répondre, Hélène. C'est une décision qui appartient à Djem en premier et au grand prieur d'Auvergne ensuite. Je doute que ce dernier approuve cette conversion. Trop d'intérêts sont en jeu.
Philippine sentit son cœur se serrer.
— Il le faudra pourtant si nous voulons nous marier.
— Je crains que cet argument ne plaide pas en faveur de Djem. Tu es promise au sire de Montoison, je te le rappelle.
— Contrainte et forcée ! s'indigna Philippine.
— Il n'empêche…
Algonde se redressa. Elle ne voulait pas gâcher à Philippine le bonheur de cette journée. Déjà son œil s'était assombri. Elle la prit aux épaules et tendit le doigt en direction de la route en contrebas.
— Oublie cela et vois cette colonne de poussière au loin.
Philippine battit des mains, rattrapée par le souffle amoureux qui nourrissait ses veines.
— C'est lui, oui, c'est lui.
— Parle à ton père, dès ce soir. Il trouvera bien un moyen de faciliter les choses, suggéra Algonde.
Elle non plus n'en pouvait plus d'attendre, de frémir, de douter. L'enfant de la prophétie devait être conçu. Vite. Quoi qu'il arrive ensuite, elle serait délivrée.
*
Marthe les fixait à tour de rôle avec dans l'œil cette cruauté froide que Sidonie lui connaissait bien.
— Est-ce vrai, Marthe ? demanda celle-ci, glacée de ce que Jacques venait de révéler, après les avoir aimablement invitées à le suivre dans son bureau.
— En quoi cela te surprendrait-il, bécasse ? la
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