Le Chant des sorcières tome 3
jouer. Elle comprenait mieux pourquoi Mélusine avait changé de langage à propos de l'œuf.
« Il te faudra le laisser sécher trois lunes avant de le réduire en poudre. Tu devras l'ingérer pour que les effets du poison de la vouivre demeurent permanents en toi sans te condamner, mais tu prendras soin d'en garder la valeur d'un ongle que tu devras glisser dans la bouche de l'enfant velu avant même qu'il soit mis au sein. C'est essentiel pour le protéger. » Tel avait été son premier discours. La fois suivante, elle avait ajouté qu'Algonde devrait attendre ses relevailles, soit quarante jours de plus, avant d'agir. Fourberie ! La jouvencelle se félicita d'avoir réussi à amoindrir les effets néfastes et malins de l'œuf en le baignant, sitôt qu'elle l'avait expulsé, dans l'élixir des Anciens donné par Présine. Restait à savoir si de nouveau elle possédait le pouvoir de respirer sous l'eau. À la première occasion Algonde devrait le vérifier. Car elle n'était pas dupe. Elle savait fort bien le rôle que Mélusine voulait la voir jouer en réalité. La garder prisonnière à sa place dans les eaux du Furon pour déjouer la malédiction qui pesait sur elle. Mais cela, il n'y fallait pas compter !
Se hâtant de regagner sa chambre pour donner la tétée à Elora, elle grimpa lestement l'escalier jusqu'au premier avant de se rabattre d'instinct derrière le socle d'une statue située à l'intersection des deux volées de marches. Quelqu'un approchait et elle ne tenait pas à être vue. La demeure était sombre. Le soleil émergeait à peine d'une frange de nuages bas sur l'horizon, auréolant le bronze du ciel d'un dégradé de roses. Un rai de lumière poudrée tombait en diagonale d'une fenêtre haute. Pas suffisamment pour la révéler. Elle reconnut la silhouette de Marthe qui quittait le corridor conduisant aux salles de musique. Que faisait-elle là en cette heure ? Algonde résolut d'attendre qu'elle ait regagné son appartement, contigu de celui du baron Jacques et de Sidonie, avant de lui emboîter le pas. Grand bien lui prit, car, à l'instant de monter, Marthe se ravisa et tourna la tête vers le couloir. Algonde sursauta. N'était-ce pas Mathieu qui s'en venait derrière ? Elle chancela. Les yeux hagards, la mine sombre et défaite, il titubait en remettant de l'ordre dans ses cheveux et sa mise.
— Allons, presse-toi, pesneux, ou tu seras en retard à ton travail ! lui lança la Harpie à mi-voix.
— À qui la faute ? grommela le jouvenceau peu amène.
Il s'en voulait de s'être laissé plier. Il marqua un temps d'arrêt à ses côtés.
— Notre accord est scellé donc…
— Il l'est. Mais si tu t'avises de me tromper, Algonde mourra.
— Je n'ai qu'une parole. Vous aurez l'enfant, assura-t-il avant de dégringoler l'escalier.
Dans l'ombre, Algonde mordit son poing pour étouffer le hurlement de détresse qui montait de son ventre. Mathieu venait de la trahir. Dans l'espoir de la sauver. Mais ce faisant, il mettait entre eux un fossé qu'elle ne pourrait plus jamais traverser.
13
La main épaisse, tachetée par les premiers signes de l'âge, faisait crisser le parchemin au délié de la plume. L'écriture de Jacques de Sassenage, d'ordinaire régulière et affermie, se troublait de sa propre émotion à rédiger cette lettre. Elle était adressée à Jeanne de Commiers. Une de plus à laquelle son épouse ne répondrait pas, songea-t-il. Depuis qu'il l'avait revue à l'abbaye de Saint-Just, chaque jour il lui disait sa tendresse et l'espoir qu'il mettait dans sa guérison prochaine, tout en insistant sur le fait qu'il viendrait la visiter dès que possible. Il ne se leurrait pas. N'ayant reçu aucune lettre de l'abbaye, il imaginait sans peine que malgré tout le soin et la discrétion qu'il mettait à ses envois, Marthe interceptait les messages dans les deux sens. Il eût pu cesser cette correspondance stérile, mais outre le fait qu'elle permettait de donner le change à la Harpie, son cœur s'y complaisait. À présent que le grand tournoi était passé, Aymar de Grolée allait pouvoir en toute discrétion s'acquitter de sa mission et enlever Jeanne du couvent pour la mettre en sécurité. « Le 18 », lui avait chuchoté son vieil ami avant qu'ils se séparent à Romans, Jacques pour regagner la Bâtie, Aymar son château de Bressieux. Le 18. C'était ce jourd'hui. Jacques ne devait donc rien changer à ses habitudes. Rien trahir de ce qui allait se
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