Le Chant des sorcières tome 3
faucha la Harpie.
Sidonie frissonna. Protecteur, Jacques, qui se tenait à ses côtés après avoir accusé Marthe du carnage, enroula un bras autour de ses épaules pour la presser contre lui.
— Qu'avez-vous fait de Jeanne ?
— Rien qui t'empêche de jouir d'elle le jour où je te la rendrai.
— Tu es ignoble, déglutit Sidonie. Pourquoi t'acharner sur elle ? Pourquoi ?
Marthe haussa les épaules.
— Je manque de distraction.
Jacques n'avait pas, quant à lui, le cœur à ce jeu pervers.
— Relâchez-la! Je vous ai donné ma parole de ne pas vous nuire en échange de sa sécurité.
Marthe le toisa avec plus de mépris encore.
— Tout est donc en ordre. Jeanne est sous bonne garde et ne manque de rien. Cessez de vous inquiéter. Il ne lui sera fait aucun mal si vous m'obéissez.
— Qui me le prouve ?
Marthe passa un de ses ongles acérés sous son menton, laissant perler à son col un mince filet de sang.
— Si j'avais décidé de l'écharper comme cette stupide religieuse, croyez-moi mes bons, l'abbesse s'en souviendrait.
Jacques de Sassenage serra les mâchoires. Il n'obtiendrait rien de plus de cette sorcière et devrait se contenter de cette évidence. Pour l'heure en tout cas ! Car il espérait bien découvrir d'une manière ou d'une autre l'endroit où Marthe séquestrait Jeanne. Ce ne pouvait être bien loin. Évitant son regard, il feignit de se résigner.
— Soit. Qu'attendez-vous de moi ?
— Que vous invitiez Djem à séjourner quelque temps à la Bâtie.
Sidonie et Jacques dardèrent sur elle des yeux écarquillés de surprise. En quoi le devenir de Jeanne était-il dépendant de leur amitié avec ce Turc ?
— Je veux que votre petite gourde d'Hélène se fasse engrosser par son prince. Vite.
Jacques blêmit tandis que Sidonie chancelait contre lui de l'incongruité de la chose. Sans lui laisser le temps de s'interroger davantage sur ses motivations, Marthe enchaîna :
— Lorsque ces deux-là se seront accouplés, vous donnerez Philippine en mariage à Philibert de Montoison. J'insiste sur ce dernier point, baron. Sans quoi ce n'est pas seulement Jeanne de Commiers que vous perdrez, croyez-moi…
15
Juillet se teintait d'Orient au château de la Bâtie. Le grand prieur d'Auvergne avait consenti à ce que Jacques de Sassenage reçoive Djem quelques semaines. De fait, il espérait cette invitation depuis longtemps pour favoriser le rapprochement de Philippine et de Philibert de Montoison. Lui-même avait accepté l'hospitalité de leur voisin et se réjouissait sincèrement de voir Djem rire aux éclats parmi cet aréopage gourmand de sa présence. D'autant plus qu'il avait reçu un bref alarmant en provenance de Rhodes. Pierre d'Aubusson, le grand maître de l'ordre des Hospitaliers, lui apprenait que le sultan Bayezid était lassé de leur payer tribut pour entretenir son frère. Il réclamait qu'on le lui livre contre une imposante rançon. Ajoutée à l'attentat dont le prince avait été victime à Romans, cette nouvelle confortait Guy de Blanchefort dans l'idée que Djem avait cessé d'être en sécurité à Rochechinard.
Il ne l'était pas davantage à la Bâtie. Au contraire. Mais la disparition d'Anwar et de Houchang avait tant miné le moral du prince que lui refuser encore cette distraction eût été suicidaire. Blanchefort n'avait pu s'y résoudre. Le grand maître avait été formel. Plus que jamais Djem devait être maintenu en captivité. Si Bayezid se montrait si inquiet, c'était que la menace d'un regroupement d'États souverains contre lui grandissait, que des rumeurs affirmaient que Djem serait bientôt libéré. D'aucuns prétendaient que le roi de France Charles VIII, sacré à Reims ce 30 mai, avait décidé de lui venir en aide, d'autres que c'était depuis la Hongrie qu'on préparait son évasion, ici Venise jouait sa partition, là, la Savoie. Aussi vitement démenties que reçues, ces informations circulaient sans cesse, mettant à vif les nerfs de Bayezid conscient que l'Occident risquait de s'enflammer contre lui.
De fait, il n'était pas un souverain en ce monde qui ne rêvât de retenir Djem. Or Pierre d'Aubusson ne voulait pas perdre son prisonnier. Encore moins le rendre à son frère. La dernière partie de sa lettre à Guy de Blanchefort avait été claire. Djem devait de nouveau être déplacé pour prévenir tout attentat, et autant de fois qu'il se révélerait nécessaire. Le grand prieur savait ce que cela
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