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Le chant du départ

Le chant du départ

Titel: Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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collines et le confluent du Tanaro et de la Stura sont recouverts d’une brume bleutée. Dans un champ, des morts sont alignés. Des hommes courbés vont parmi eux comme des charognards, et, quand ils se redressent, ils portent une brassée de sabres et de sacoches remplies de munitions. Ce qui est accompli, ce qui est mort n’existe plus. Seul compte ce qui reste à faire.
    Il remonte d’un pas vif vers le siège de l’état-major. Les mots se pressent dans sa tête. Il y a eu les morts, les blessés, les fuyards, les maraudeurs, les lâches, les bataillons qui cédaient à la panique, les pillards qu’on a fusillés. Il y a eu toute cette réalité sanglante et boueuse.
    Il s’arrête un instant devant une charrette où trois hommes blessés entassés les uns sur les autres agonisent. Ont-ils été des lâches, abattus dans le dos ? Des voleurs, surpris par un officier et condamnés, ou des héros ? Qui le sait ?
    Il entre dans la maison.
    Il commence à dicter à Berthier la proclamation que les officiers devront lire sur le front des troupes et qui sera imprimée, distribuée à tous.
    Elle deviendra la vérité de ces jours de bataille. Il n’y aura plus d’autre réalité que celle-là :
    « Soldats ! Vous avez en quinze jours remporté six victoires, pris vingt et un drapeaux, cinquante-cinq pièces de canon, plusieurs places fortes, conquis la plus riche partie du Piémont… Dénués de tout, vous avez suppléé à tout ; vous avez gagné des batailles sans canons, passé des rivières sans pont, fait des marches forcées sans souliers, bivouaqué sans eau-de-vie et souvent sans pain. Les phalanges républicaines, les soldats de la liberté étaient seuls capables de souffrir ce que vous avez souffert. Grâces vous en soient rendues, soldats ! Mais, soldats, vous n’avez rien fait, puisqu’il vous reste encore à faire. »
    Puis il se penche sur la table où sont toujours déployées les cartes. Il suit du doigt ces lignes qui se dessinent dans son esprit, et, il le sait, qu’il est seul à concevoir, à imaginer. Les Autrichiens de Beaulieu sont là au bout de ses doigts.
    — Demain…, commence-t-il.
    Il s’arrête, d’un signe indique à Berthier qu’il doit prendre note pour le Directoire.
    — Demain, je marche contre Beaulieu, je l’oblige à repasser le Pô, je passe le fleuve immédiatement après, je m’empare de toute la Lombardie et, avant un mois, j’espère être sur les montagnes du Tyrol, y trouver l’armée du Rhin et porter de concert la guerre dans la Bavière.
    Tout reste à faire.

23.
    Napoléon se dresse sur ses étriers et se retourne.
    Cherasco n’est plus à l’horizon qu’un volume ocre qui perce le brouillard dense dans lequel la brigade de grenadiers marche depuis l’aube. Il a confiance dans ces hommes qu’il a choisis lui-même et qu’il a placés sous les ordres du général Dallemagne. Celui-ci commandait déjà les grenadiers au siège de Toulon.
    Mais c’est Napoléon qui ouvre la marche.
    Cette bataille qui commence pour la possession de la Lombardie, avec en son coeur ce joyau, Milan, il veut la vivre en avant, les pieds dans la boue des combats. Il ne ressent aucune crainte. La mort n’est pas pour lui. Il veut franchir le Pô le premier. Et il ne cesse de regarder ce fleuve, longue traînée argentée, qui, dès que le brouillard se dissipe, apparaît, immense et majestueux, gardé par ces hauts peupliers figés comme des hallebardiers. Dans cette même plaine, à quelques lieues plus au nord, dans les environs de Pavie, François I er , en 1525, fut battu et fait prisonnier par un général de Charles Quint.
    Ici, le royaume de France a perdu une partie. C’est la revanche, et c’est moi qui la joue .
     
    Il presse l’allure. C’est la nuit du 6 au 7 mai 1796. On atteint le Pô à Plaisance. Quelques coups de feu. Napoléon s’élance, les grenadiers suivent. L’ennemi recule. On ne s’arrête pas.
    Quand le jour se lève, Napoléon voit devant lui la Lombardie.
    Le soleil joue avec l’eau des marais, des étangs. La terre est grasse. Les fermes, vastes et massives.
    Voilà les terres fertiles.
    Au loin on aperçoit un autre ruban brillant, l’Adda, l’affluent du Pô. Les villes dont les silhouettes s’esquissent au-dessus de la plaine ressemblent à des navires dont les clochers seraient les mâts : voici Lodi et voici Crémone.
    Au milieu de la matinée du 9 mai, alors que l’on avance à marches forcées vers Lodi et son pont

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