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Le chant du départ

Le chant du départ

Titel: Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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jour, mais il faut jaser avec les petits messieurs visiteurs dès dix heures du matin et puis écouter les sornettes et les sottises jusqu’à une heure après minuit. Dans les pays où il y a des moeurs, dès dix heures du soir tout le monde est chez soi, mais dans ces pays-là on écrit à son mari, l’on pense à lui, l’on vit pour lui. Adieu, Joséphine, tu es un monstre que je ne puis expliquer… »
    Mais comment se débarrasser de cette passion quand on a besoin de la passion pour vivre, et que, même si l’on gagne six batailles en quinze jours, il y a entre les combats ces nuits vides ?
    Napoléon se confie à son frère Joseph.
    — Tu connais mon amour, tu sais comme il est ardent, tu sais que je n’ai jamais aimé que Joséphine, que Joséphine est la première femme que j’adore… Adieu, mon ami, tu seras heureux. Je fus destiné par la nature à n’avoir de brillant que les apparences. »
    Alors se soumettre, reconnaître sa faiblesse, lui avouer cette servitude : « Tous les jours récapitulant mes torts, je me bats les flancs pour ne plus t’aimer, bah, voilà que je t’aime davantage… Je vais te dire mon secret ; moque-toi de moi, reste à Paris, aie des amants, que tout le monde le sache, n’écris jamais, eh bien je t’en aimerai dix fois davantage ! Si ce n’est pas là folie, fièvre, délire ? Et je ne guérirai pas de cela ! Oh si, pardieu, j’en guérirai… »
     
    Il ne sait rien, mais il soupçonne. La jalousie le dévore. On lui rapporte que Joséphine, qu’on appelle maintenant Notre-Dame des Victoires, dîne chez Barras. Que Murat et Junot, les aides de camp qu’il a envoyés à Paris pour demander à Joséphine de le rejoindre, sont devenus ses amants. Qu’elle traîne partout sa dernière conquête, son « polichinelle », le lieutenant Hippolyte Charles, un homme « amusant » aux uniformes chamarrés près du corps, qui mettent en évidence ses formes de jeune séducteur.
    Napoléon ne veut pas entendre. Il ne veut pas savoir. Mais il écrit : « Sans appétit, sans sommeil, sans intérêt pour l’amitié, pour la gloire, pour la patrie, toi, toi, et le reste du monde n’existe pas plus pour moi que s’il était anéanti.
    Et tout à coup il ne peut retenir sa douleur : « Les hommes sont si méprisables, note-t-il. Toi seule effaçais à mes yeux la honte de la nature humaine ! Je ne crois pas à l’immortalité de l’âme. Si tu meurs, je mourrai aussitôt, mais de la mort de l’anéantissement. »
     
    Pendant quelques jours, il ne peut plus lui faire porter ces lettres qui restent trop souvent sans réponse.
    Il retourne à ses cartes et à la guerre. Il quitte Milan. Il chevauche vers Mantoue, la place forte imprenable qui tient toute la Lombardie et se trouve aux portes de la Vénétie. Elle commande les routes qui, longeant le lac de Garde, conduisent au Tyrol, aux cols d’où l’on pourra déboucher sur l’Autriche. Vienne conquise comme Milan ? Pourquoi pas ?
    Il imagine. Il a adressé à ses soldats, il y a seulement quelques jours, une proclamation pour les féliciter de leurs victoires : « Soldats, vous vous êtes précipités comme un torrent du haut de l’Apennin : vous avez culbuté, dispersé tout ce qui s’opposait à votre marche. »
    Pourquoi demain ne pourraient-ils, avec lui à leur tête, dévaler les pentes des Alpes vers le Danube ?
    Il met le siège devant Mantoue. Il veille à chaque détail. Il saute de son cheval, choisit les emplacements des pièces de canon, calcule les angles de tir. Et tout à coup il chancelle, pâle, s’évanouit, épuisé. On le conduit jusqu’à sa tente. Mais il se redresse, chasse les aides de camp, reprend la plume.
    « Je te montrerai mes poches pleines de lettres que je ne t’ai pas envoyées parce qu’elles étaient trop bêtes… Écris-moi dix pages, cela seul peut me consoler un peu. »
    Il a mal. C’est une douleur lancinante qui tord le ventre, oppresse.
    « Les fatigues et ton absence, c’est trop à la fois… Tu vas revenir, n’est-ce pas ? Tu vas être ici à côté de moi, sur mon coeur, dans mes bras, sur ma bouche ! Prends des ailes, viens, viens. Un baiser au coeur et puis un plus bas, bien plus bas ! »
    Il la désire. « Mille baisers sur tes yeux, sur tes lèvres. » Et l’envie qu’il a d’elle est avivée par la jalousie qui l’obsède.
    Il écrit même à Barras : « Je suis au désespoir, ma femme ne vient pas, elle a quelque amant qui la retient à Paris. Je

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