Le chant du départ
de bataille est couvert de fumée. C’est le moment du choix. Le général Masséna doit tourner l’Autrichien, le général Laharpe attaquer de front. Les aides de camp s’élancent.
Savoir attendre.
Le 12 avril, à Montenotte, les Autrichiens sont battus. Le 13, ils le sont encore à Millesimo et à Diego.
Napoléon est assis sur une caisse recouverte d’un tapis rouge sombre : deux mille six cents prisonniers, peut-être huit mille morts chez les Autrichiens, et un millier d’hommes chez nous.
Rampon s’avance, couvert de sang et de boue. La guerre, c’est oublier les morts et féliciter les vivants.
Napoléon donne l’accolade à Rampon, et l’élève au grade de général de brigade.
Puis, tout en marchant, les mains derrière le dos, il écoute les rapports. Des unités se sont débandées pour chercher à manger et à boire. Masséna a dû rallier ces hommes dont beaucoup fuyaient les combats autour de Diego.
Des pillages ont eu lieu.
Comment se battre, comment mourir et tuer si la discipline cède ? Napoléon appelle Berthier, dicte.
« Le général en chef voit avec horreur le pillage affreux auquel se livrent des hommes pervers qui n’arrivent à leur corps qu’après la bataille… Faire fusiller sur-le-champ les officiers ou les soldats qui, par leur exemple, exciteraient les autres au pillage et détruiraient par là la discipline, mettraient le désordre dans l’armée et compromettraient son salut et sa gloire… »
Il précise encore : « On arrachera l’uniforme de ces hommes, ils seront flétris dans l’opinion de leurs concitoyens comme des lâches… »
Puis il se penche sur les cartes, trace des flèches d’un geste précis. Trois victoires en quatre jours. L’absence de joie en lui l’étonne. La défaite serait insupportable, mais le succès ne grise pas. Parce qu’il y a toujours un autre combat. L’action ne prend fin qu’avec la vie.
— Au tour des Piémontais de Colli, dit Napoléon.
Il ne dort plus, ou seulement quelques minutes, se réveillant dispos, plus pâle cependant, la phrase plus brève encore, les idées comme affûtées par la nuit.
Le 21 avril, Colli est battu à Mondovi, mais une fois encore la joie se dérobe.
Des troupes se sont à nouveau débandées pour piller. Il faut sévir. Fusiller, dégrader. Si la poigne de fer de la discipline ne serre pas les hommes ensemble comme un faisceau, comment accepteraient-ils de marcher à la mort ?
Il se promène dans le camp. Tout à coup, des soldats et des officiers crient : « Vive le général Bonaparte ! » Des envoyés du général Colli se sont présentés pour lui demander un armistice.
À moi .
Petite flamme de joie .
Le 25 avril, les envoyés du roi du Piémont-Sardaigne, Victor-Amédée, se présentent devant Napoléon à Cherasco.
Ils sont dignes et respectueux, Napoléon fait asseoir les nobles piémontais, La Tour et Costa de Beauregard, en face de lui. Les aides de camp sont debout, entourant leur général en chef.
Napoléon parle.
Les Piémontais doivent livrer trois places fortes, Coni, Tortone et Valenza. Ils doivent fournir à l’armée française tous les approvisionnements nécessaires. Les conditions de paix seront discutées à Paris, car, dit-il, il n’est, encore , que le général en chef de l’armée de la République française. Les deux nobles piémontais s’inclinent, mais commencent à discuter les propositions que Napoléon leur a faites.
— Messieurs, dit-il en desserrant à peine les lèvres, je vous préviens que l’attaque générale est ordonnée pour deux heures et que cette attaque ne sera pas différée d’un moment.
Puis il croise les bras et attend. Il est fort de la puissance des armes, de sa résolution et de la peur qu’elles inspirent.
Le 26 avril, avant le lever du jour, les Piémontais signent l’armistice. Il entend les cris des soldats : « Vive le général Bonaparte ! »
Comme il est simple d’imposer sa loi aux hommes quand on est un général vainqueur.
L’aube est silencieuse. Il sort de la maison où l’état-major est installé, suivi de quelques officiers.
Les rues de Cherasco sont encombrées de voitures et de charrettes remplies de foin frais sur lequel reposent des blessés. Certains geignent, leurs moignons ensanglantés. Des soldats sont affalés à même les pavés, le dos appuyé contre les façades.
Arrivé au bout d’une rue, Napoléon s’avance sur un promontoire qui domine le paysage. Les
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