Le chant du départ
mieux d’avoir ainsi pour quelques minutes seulement parlé de ses sentiments, de n’avoir engagé que lui-même, comme s’il n’était en effet qu’un jeune homme qui n’a pas encore fêté, le 15 août 1796, ses vingt-sept ans.
À cheval maintenant, en avant des troupes .
Marche, combats .
À Lonato, le 3 août, Quasdonovitch est écrasé. Wurmser, qui est entré triomphalement dans Mantoue comme prévu, en ressort pour se porter au secours de son adjoint défait.
Il faut donc battre Wurmser.
Napoléon passe dans les rues de Brescia reconquise. Les soldats se lavent dans les fontaines, se désaltèrent à cette eau jaillissante, claire, qui rafraîchit chaque rue. Des charrois remplis de fusils pris dans les manufactures d’armes cahotent sur les pavés de cette ville industrieuse, Brescia armata .
Napoléon entre dans le Municipio situé sur la Piazza Vecchi. C’est là qu’il a établi son quartier général. Il entend des rires, s’immobilise. Joséphine apparaît, entourée d’officiers ; Murat se pavane ; ce jeune capitaine Hippolyte Charles tient dans ses bras le chien Fortuné. Napoléon les écarte sans ménagement. Tous s’éloignent. Elle est là, à moi, « petite épaule, petit sein blanc élastique, bien ferme, par-dessus cela une petite mine avec le mouchoir à la créole, à croquer, et cette petite forêt noire ».
Il l’entraîne dans sa chambre avec une sorte de fureur.
Derrière la porte fermée, des aboiements. Mais Napoléon empêche Joséphine d’aller ouvrir à Fortuné. Elle renonce.
Plus tard, au dîner, cependant qu’elle garde son chien sur les genoux, Napoléon ne peut s’empêcher, en montrant l’animal, de chuchoter à Arnault, un écrivain proche de Joséphine, sur un ton où se mêlent amertume et gaieté : « Vous voyez bien, ce monsieur-là, c’est mon rival. Il était en possession du lit de Madame quand je l’épousai. Je voulus l’en faire sortir : prétention inutile. On me déclara qu’il fallait me résoudre à coucher ailleurs ou consentir au partage. Cela me contrariait assez, mais c’était à prendre ou à laisser. Je me résignai. Le favori fut moins accommodant que moi. J’en porte la preuve à cette jambe. » Mais il s’en veut aussitôt de cette confidence. Il a déjà fini de souper. Le temps passé à table lui a toujours semblé perdu. Il oblige les autres convives à quitter la pièce, et il reste enfin en tête à tête avec Joséphine. Le chien grogne.
Un jour et demi avec elle. Une seule nuit. Les galops des chevaux. La canonnade lointaine. Les troupes de Wurmser avancent. Des uhlans sont signalés aux portes de Brescia. Joséphine pleure. Elle a peur. Qu’elle regagne Milan, avec une escorte commandée par Junot.
— Adieu, belle et bonne, toute non pareille, toute divine. Wurmser paiera cher les larmes qu’il te fait verser, dit Napoléon.
Il bat Wurmser à Vastiglina le 5 août, et le 7, après avoir repris Vérone, Mantoue est à nouveau assiégée.
J’avais décidé seul. La victoire est à moi .
Mais pour combien de temps ? Wurmser reconstitue ses forces, reçoit de nouvelles troupes. Davidovitch remplace Quasdonovitch. À chaque instant, tout peut être remis en cause. Cette incertitude du futur lui est insupportable. Elle l’épuise.
Junot a demandé à être reçu. Il raconte comment, sur la route du retour, un parti de uhlans a attaqué la voiture de Joséphine de Beauharnais. Il a fallu se battre. Deux chevaux ont été tués et les roues de la voiture ont été brisées par un boulet. Joséphine a dû emprunter un carricolo de paysan et se réfugier à Peschiera avant de regagner Milan.
Il faut cacher son angoisse, féliciter Junot. Accepter que Joséphine reste à Milan, reçoive fastueusement dans le palais Serbelloni en aristocrate royaliste qu’elle demeure, entourée d’hommes empressés.
Puis-je tolérer cela ?
Napoléon s’emporte. Qu’on renvoie le capitaine Charles, qu’on le chasse de l’armée d’Italie. Napoléon interroge Junot, est-il vrai que Joséphine, comme on le lui a rapporté, a été se promener plusieurs jours au bord du lac de Côme avec Charles ? Junot se tait. Junot sait. Ils savent tous.
Faut-il reconnaître que je suis un époux malheureux et trompé ?
« Tu es une méchante et une laide, écrit-il à Joséphine, bien laide, autant que tu es légère. Cela est perfide, tromper un pauvre mari, un tendre amant. Doit-il perdre ses droits parce qu’il est loin,
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