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Le chant du départ

Le chant du départ

Titel: Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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chargé de besogne, de fatigue et de peine ? »
    Mais à quoi bon supplier, redire : « Sans sa Joséphine, sans l’assurance de son amour, que lui reste-t-il sur la terre, qu’y ferait-il ? »
    Écoutera-t-elle ?
    Alors il parle de la guerre :
    « Nous avons eu hier une affaire très sanglante, l’ennemi a perdu beaucoup de monde et a été complètement battu. Nous lui avons pris le faubourg de Mantoue. »
    Mais qu’est-ce, pour elle, que la guerre ? Et pourquoi comprendrait-elle ce que représentent ces nouvelles victoires ? Ces choix accomplis seul et cette joie qu’on ne peut faire partager quand l’ennemi tombe dans le piège ? Davidovitch, écrasé à Roveredo le 4 septembre parce qu’on a fondu sur lui en masse. Puis on s’est retourné contre Wurmser, battu le 7 septembre à Primolano ; et le 8 à Bassano. Et il n’est resté à Wurmser que le choix de s’enfermer dans Mantoue, impuissant.
    Joséphine imagine-t-elle ce que j’exige des soldats ?
    En six jours, ils ont marché en combattant, cent quatre-vingts kilomètres. Et en quinze jours la deuxième offensive de Wurmser a été brisée. Qui conduira la prochaine ?
    Cette besogne-là, la guerre, elle est insatiable, elle me dévore. Il faudrait l’amour de ma femme pour me défendre de cette carnivore .
    « Mais tes lettres, Joséphine, sont froides comme cinquante ans, elles ressemblent à quinze ans de mariage. On y voit l’amitié et les sentiments de cet hiver de la vie. C’est bien méchant, bien mauvais, bien traître à vous. Que vous reste-t-il pour me rendre bien à plaindre ? Ne plus m’aimer ? Eh, c’est déjà fait. Me haïr ? Eh bien, je le souhaite ; tout avilit hors la haine ; mais l’indifférence, au pouls de marbre, à l’oeil fixe, à la démarche monotone… »
    Donc la guerre aussi contre elle.
    « Je ne t’aime plus du tout, au contraire, je te déteste. Tu es une vilaine, bien gauche, bien bête, bien cendrillon… Que faites-vous donc toute la journée, Madame ?… Quel peut être ce merveilleux, ce nouvel amant qui absorbe tous vos instants, tyrannise vos journées et vous empêche de vous occuper de votre mari ? Joséphine, prenez-y garde, une belle nuit, les portes enfoncées, et me voilà ! »
     
    Un moment de rage dans le creux d’une nuit automnale, alors que les pluies tombent sur la Lombardie, que l’humidité imprègne l’uniforme, que les brouillards masquent les marais qui entourent Mantoue. La fatigue, puis l’épuisement, le rhume tenace, la fièvre, la gale qui revient font le siège d’un corps maigre à la peau jaune qu’il faut pourtant mettre sur pied, tenir à cheval, aller d’une ville à l’autre, de Bologne à Brescia, de Vérone aux faubourgs de Mantoue. Des nouvelles en provenance de Vienne annoncent que l’Empire rassemble des troupes fraîches, plus nombreuses, plus aguerries, mieux armées, sous le commandement du général Alvinczy. Il va falloir faire face à nouveau.
    Napoléon inspecte les troupes. Il écoute. Des officiers et des soldats se plaignent. Celui-ci a été insulté en ville. Cet autre agressé. Les chemins ne sont plus sûrs. « La population est contre nous », répète-t-on. Un convoi de tableaux destinés à Paris a dû regagner Coni, car dans les campagnes du Piémont des bandes attaquent les transports de l’armée et les patrouilles. Ces « Barbets » sont des paysans qui nous haïssent, explique-t-on à Napoléon.
    Il est une fois de plus seul face à l’avenir.
    Peut-on, avec une armée qui compte à peine quarante mille hommes, qui est menacée par des forces supérieures qui semblent inépuisables, venues de Croatie, de Hongrie, d’Allemagne, d’Autriche, tenir l’Italie, le Piémont et la Lombardie ? Bologne et Vérone ?
    Il fait entrer Miot de Mélito, le représentant de la République en Toscane. L’homme, petit, disert, expose la situation. Napoléon le questionne. Il observe le diplomate, devine sa surprise. Il s’attendait à trouver l’un de ces généraux à la Masséna, courageux et emportés.
    — Vous ne ressemblez pas aux autres, dit-il à Napoléon. Vos vues militaires et politiques…
    Il s’interrompt, murmure, comme s’il n’osait pas l’avouer :
    — Vous êtes l’homme le plus éloigné des formes et des idées républicaines que j’aie rencontré.
    — Il faut nous faire des amis, dit Napoléon, pour assurer nos arrières et nos flancs.
    Il s’éloigne, voûté, les cheveux raides tombant le long de son visage pâle

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