Le chant du départ
d’incendies s’élèvent ici et là.
Napoléon commande un feu de batterie. Il faut montrer que rien n’arrêtera la force. Au bout de quelques heures, le grand maître Hompesch demande à parlementer.
Napoléon, alors, peut parcourir les rues de La Valette. Il marche lentement dans cette ville aux rues pavées qui forment un damier. Ici, comme en Italie, il foule l’Histoire. Il est le successeur des chevaliers de la Croisade.
Il reçoit ces chevaliers dans leur propre palais, sur lequel flotte le drapeau de la République. « Que ceux, dit-il, qui sont français et ont moins de trente ans viennent prendre leur part de gloire en rejoignant l’expédition. Quant aux autres, ils ont trois jours pour quitter l’île. »
Puis il poursuit sa visite. Il est le maître de ce qui est un État. Rien ne peut résister à sa volonté, et cela excite son imagination.
Il dicte des codes, des décrets, réorganise toute l’administration de l’île.
Lorsqu’il va et vient dans la grande salle de l’Ordre, il s’arrête parfois devant l’un des blasons de chevalier. Durant quelques minutes, il ne dicte plus. Il avait fallu des siècles pour bâtir cet État. Il lui suffit de quelques heures pour en construire un différent. Et mettre ainsi en place, en seize paragraphes, toute l’administration de l’île, en finir avec les titres de noblesse. Il sent que ses aides de camp l’observent, figés dans une admiration respectueuse.
Un homme, du haut du pouvoir, il l’a déjà pressenti en Italie en créant les Républiques cisalpine et ligurienne, peut changer tout l’ordre des choses. Un homme commandant à des soldats en armes peut autant, plus qu’un peuple en révolution, qu’une populace et son désordre. Cette idée l’exalte. Il est fier de son oeuvre.
Il marche dans les rues de La Valette. Il entre dans la cathédrale Saint-Jean. Elle est transformée en fonderie. On exécute ses ordres.
Dans chacune des chapelles sont installés des fourneaux qui servent à passer au creuset tout l’or et l’argent des reliques. Dix ouvriers tapent à coups de marteau sur les objets précieux avant de fondre les morceaux.
Il rentre dans le palais des chevaliers. Il ordonne qu’on affiche la proclamation qu’il vient de relire : « Tous les habitants de l’île de Malte deviennent citoyens français et font partie de la République… L’homme ne doit rien au hasard de la naissance, seuls son mérite et ses talents le distinguent… »
Les heures, les jours passent. Lorsqu’il flâne dans les jardins du palais des chevaliers, il écoute ses généraux. Lannes se plaint de l’attitude de certains soldats qui ont pillé un couvent à Gozo, tenté de violer les religieuses, menacé leurs officiers. D’autres parlent des prostituées innombrables accueillantes aux Français.
Il écoute. De quoi se souviendra-t-on ? De ces scories ? Des maisons saccagées, des reliques fondues, et même des femmes violées, de la brutalité des soldats, des morts, ou bien qu’il fut ici, conquérant, avant de rejoindre Alexandrie ?
Que garderont les peuples en mémoire ? Le souvenir de la force, ou bien qu’il a libéré les deux mille esclaves musulmans du bagne de Malte ?
Il s’assied dans le jardin du palais. On lui apporte un panier rempli d’oranges qui viennent d’être cueillies. Sous la peau épaisse et âpre du fruit, il y a la fraîcheur veloutée de la pulpe juteuse.
Le 18 juin, puisque la tâche est accomplie et que les vents sont favorables, Napoléon donne à l’amiral Brueys l’ordre d’appareiller. L’ Orient s’éloigne cependant que la garnison laissée à Malte salue le départ du convoi par quelques coups de canon.
La chaleur, en quelques heures, se fait plus lourde malgré la brise de mer. Les côtes de Grèce, de Cythère et de Crète qu’on longe sont enveloppées au milieu de la matinée par une brume grisâtre que seuls les vents du soir et du matin dissipent. Napoléon reste sur la passerelle. Ici sont les terres où séjourna Ulysse, là sont les côtes que longèrent les galères romaines. Voici le royaume de Minos, l’origine des mythologies.
Est-il le seul à entrer en communion avec ces paysages chargés d’Histoire ? Il parle sans fin. Il évoque la décadence des cités et des empires, celles de Grèce et ceux d’Occident et d’Orient. Il faut la volonté d’un homme, l’égal d’un Alexandre ou d’un César, pour dessiner les frontières d’une nouvelle
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