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Le chant du départ

Le chant du départ

Titel: Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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violent secoue la voiture sur un chemin de traverse vers Roquevaire. On a emprunté cet itinéraire pour éviter Marseille, atteindre plus vite Toulon.
    La « vache » de la berline, haute sur ses roues, a accroché une branche d’arbre. On descend, on éclaire. Napoléon fait quelques pas : devant lui, un pont effondré que l’orage a emporté dans un profond ravin.
    — La main de la Providence, dit Marmont en montrant la branche.
    Sans elle, la berline se fracassait sur les rochers du torrent.
    Napoléon remonte dans la voiture.
    — Vite, lance-t-il.
    Il doit aller sans hésiter au bout de ce choix.
    Le temps d’agir est revenu.
     
    Le 10 mai, à Toulon, il reconnaît cette mer d’un bleu soutenu, ce soleil déjà brûlant, et ces voiles blanches qui se découpent sur un ciel que la luminosité rend aveuglant.
    De sa fenêtre, à l’hôtel de la Marine, il ne se lasse pas de contempler ce paysage, l’horizon au-delà duquel il imagine cette terre d’Égypte que tant de conquérants ont piétinée depuis l’origine de l’Histoire.
    Il va mettre ses pas dans leurs empreintes. Il endosse son uniforme et part inspecter la flotte.
    Chaque fois que son embarcation approche d’un navire, celui-ci tire deux coups de canon pour le saluer.
    Il est le général en chef de cette armada, lui qui n’était ici, cinq ans auparavant, qu’un jeune capitaine inconnu, lui qui garde sur sa peau les traces de la gale contractée à Toulon.
    Le soir, la ville est illuminée en son honneur. Joséphine est près de lui. Il se sent fort.
    Le lendemain, on passe les troupes en revue. Devant les hommes alignés, il retrouve sous ce ciel qui est le sien, au milieu des odeurs de mer, de pins et d’oliviers qui lui sont si familières, l’énergie et l’allant que depuis plus d’un mois il contenait dans le Paris des manoeuvres et des habiletés tortueuses.
    Ici, dans l’action, face à la mer, tout est plus simple. Clair comme la lumière de son enfance.
    — Officiers et soldats, lance-t-il, il y a deux ans que je vins vous commander. À cette époque, vous étiez dans la rivière de Gênes, dans la plus grande misère, manquant de tout, ayant sacrifié jusqu’à vos montres pour votre subsistance : je vous promis de faire cesser vos misères, je vous conduisis en Italie. Là, tout vous fut accordé… Ne vous ai-je pas tenu parole ?
    Cette vague d’assentiment, ce « oui » hurlé par ces soldats le soulève. Voilà ce qui s’appelle vivre.
    — Eh bien, apprenez, reprend-il, que vous n’avez point encore assez fait pour la patrie, et que la patrie n’a point encore assez fait pour vous. Je vais vous mener dans un pays où, par vos exploits futurs, vous surpasserez ceux qui étonnent aujourd’hui vos admirateurs, et rendrez à la patrie des services qu’elle a droit d’attendre d’une armée invincible. Je promets…
    Il s’interrompt un instant, laisse le silence s’installer.
    — Je promets à chaque soldat qu’au retour de cette expédition, il aura à sa disposition de quoi acheter six arpents de terre…
    Les fanfares jouent. On crie : « Vive la République immortelle ! »
     
    Le 19 mai, à cinq heures du matin, Napoléon se tient à la poupe de l’embarcation qui s’éloigne du quai. Joséphine lui fait des signes d’adieu. Il la regarde longuement. A-t-elle vraiment voulu s’embarquer avec lui comme elle l’a laissé entendre, ou bien n’était-ce qu’une proposition sans conséquence dont elle savait qu’il la refuserait ? Il ne veut pas trancher. Il veut partir avec l’illusion qu’elle désirait rester à son côté.
    Il se tourne vers le large. La rade est couverte de vaisseaux. Cent quatre-vingts navires attendent d’appareiller à six heures. Ancré à quelques encablures, l’ Orient , le navire amiral, se dresse comme une forteresse haute de trois étages, chacun armé de quarante canons.
    Napoléon monte à bord, prend place aussitôt sur la passerelle. Le commandant Casabianca donne l’ordre aux navires de mettre à la voile. La mer est creusée par des vagues courtes. Les treize vaisseaux de ligne ouvrent la marche, vent debout, suivent les transports, entourés de frégates, d’avisos et de bricks.
    Certains des navires lourdement chargés raclent le fond. Quand l’ Orient s’ébranle, il touche lui aussi le fond, penche, puis se dégage.
    Napoléon n’a pas bougé. Il reste plusieurs heures sur le pont cependant que les navires gagnent la haute mer.
    Il est le destin de

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