Le chant du départ
désordre. « Cadis, cheiks, imams, tchorbadjis, commence Napoléon, je viens vous restituer vos droits, à l’encontre des usurpateurs… J’adore Dieu plus que ne le font les Mamelouks, vos oppresseurs, et je respecte son prophète Mahomet et l’admirable Coran. »
Il faut parler ainsi. Les hommes ont besoin de ces croyances et de ces mots.
On palabre. Les musulmans se plaignent. Des soldats ont volé des Arabes qui ne s’opposaient pas à leur avance.
Des officiers expliquent qu’on a arrêté l’un de ces soldats. Il a pris un poignard à un Arabe.
— Qu’on juge cet homme.
Le voici, balbutiant, la peau gonflée par les brûlures, le visage déformé par la peur. On l’interroge. Il avoue.
La mort pour combattre la mort.
Le soldat est exécuté à quelques pas de la colonne de Pompée.
Les délégués s’inclinent, font acte d’allégeance à Napoléon. Il entre dans Alexandrie.
Les ruelles sont étroites. La chaleur y est comme recluse. Des femmes lancent d’étranges cris aigus. Napoléon chevauche, entouré des membres de la délégation et d’une escorte de guides. Tout à coup, en même temps qu’il entend la détonation, il ressent un choc sur la botte gauche, son cheval fait un écart. On crie. On tire sur une maison d’où est parti le coup de feu.
La mort vient de m’effleurer une nouvelle fois .
Il s’installe dans la maison du consul de France, et aussitôt, alors qu’autour de lui on parle encore de ce tireur isolé qu’on a trouvé entouré de six fusils et qu’on a abattu, Napoléon commence à donner des ordres.
Demain 2 juillet, revue des troupes avec les corps de musique, les officiers généraux en grande tenue, puis départ des premières unités vers Le Caire. Il appelle le consul Magallon et choisit pour l’avance des troupes la route de Damanhour, afin de ne pas avoir à traverser le Nil sur lequel naviguent des galères mamelouks. Il harcèle déjà les officiers, exige qu’on mette sur pied un atelier pour fabriquer de nouveaux uniformes, plus légers. Napoléon voudrait communiquer à chacun de ceux qui l’écoutent son énergie, son impatience, sa conscience que toute seconde doit être employée à agir. Il dit : « Saint Louis, ici, passa huit mois à prier alors qu’il eût fallu les passer à marcher, à combattre et à s’établir dans le pays. »
Mais comment rendre ces hommes, chaque soldat, tendus comme lui ? Le Caire aujourd’hui, et demain… Quoi ? Plus loin, plus haut.
Il commence à dicter à Bourrienne une proclamation aux Égyptiens, qui doit être imprimée dans la nuit en arabe, en turc et en français, puis affichée dans toutes les villes, lue à haute voix et distribuée par les armées en marche.
« Au nom de Dieu, clément et miséricordieux. Il n’y a de divinité qu’Allah : il n’a point de fils et règne sans associé. »
Bourrienne lève la tête.
Qu’imagine-t-il ? Que l’on peut parler aux musulmans comme on parle aux chrétiens ?
« Au nom de la République Française fondée sur la liberté et l’égalité… »
Il dicte d’une voix saccadée, s’en prenant aux Mamelouks, l’aristocratie guerrière qui opprime les Égyptiens.
« Quelle intelligence, quelles vertus, quelles connaissances distinguent les Mamelouks, pour qu’ils aient exclusivement tout ce qui rend la vie douce ? Y a-t-il une belle terre, une belle esclave, un beau cheval, une belle maison ? Cela appartient aux Mamelouks !
« Mais Dieu est juste et miséricordieux pour le peuple… Tous les hommes sont égaux devant Dieu. L’intelligence, les vertus et la science mettent seules la différence entre eux… Aucun Égyptien ne sera désormais exclu des charges et tous pourront parvenir aux dignités les plus élevées… par ce moyen le peuple sera heureux… Cadis, cheiks, imams, tchorbadjis, dites au peuple que les Français sont aussi de vrais musulmans. Ce qui le prouve, c’est qu’ils ont été à Rome la Grande et ont détruit le trône du pape, qui incitait sans cesse les chrétiens à faire la guerre aux musulmans ; qu’ils sont allés dans l’île de Malte et en ont chassé les chevaliers qui s’imaginaient que Dieu voulait qu’ils fissent la guerre aux musulmans… Heureux, oui, heureux les Égyptiens qui s’uniront promptement à nous… Mais malheur à ceux qui se joindront aux Mamelouks.
« Que Dieu conserve la gloire du sultan ottoman, que Dieu conserve la gloire de l’armée française ! Que Dieu maudisse
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