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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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plus à se cacher d’être riche : à Paris, tout était à vendre, les consciences, les corps, les objets, les renseignements, les églises, les lustres, les pendules, les armoires qu’on montrait aux passants à même le pavé et jusque dans les ruisseaux. Voilà pourquoi le valet qui courait lui ouvrir la portière était vêtu d’une livrée ducale que Delormel avait trouvée à son goût, un jour où il achetait une cargaison d’eau-de-vie des caves du duc de Mazarin.
    — Des messieurs vous attendent depuis plus d’une heure.
    — Peste ! J’avais oublié ce cher Tallien ! Il n’est pas venu seul ?
    — Il y a aussi un artiste peintre, Monsieur, avec son matériel.
    — Ah oui...
    — Dépêchez-vous, mon ami, dit Madame Delormel.
    — Me dépêcher? S'ils m’ont attendu jusque-là c’est qu’ils ont plus besoin de moi que moi d’eux. Je pèse lourd, Rosalie.
    Il pesait lourd au propre et au figuré, en posant un soulier verni sur le marchepied :
    — J’ai bien peur d’avoir trop soupé, Rosalie.
    — Et trop bu.
    — Sans doute...
    Le valet l’aida à gravir son perron et à entrer dans le grand vestibule du rez-de-chaussée qui ressemblait à un magasin. Des pains de sucre montaient en piles sur les commodes, à côté d’un mur de barriques, d’un empilement de cartons d’où sortaient des dentelles. Tallien et le peintre Boilly, hirsute mais sanglé dans une redingote grise, attendaient au salon. Le premier était assis sur un tombereau de pruneaux, le second considérait une pipe turque en bois de jasmin tirée d’un lot.
    — Suis-je en retard ou étiez-vous en avance? dit Delormel aux deux hommes. Que voulez-vous ! On ne peut pas manger en dix minutes à la table de Barras !
    — A votre service, dit le peintre en se courbant.
    — J’ai une bonne affaire à vous proposer, Jean-Mathieu, dit Tallien.
    — Bien. Passons au salon, nous y serons mieux.
    Le salon du rez-de-chaussée n’était pas moins surchargé que le vestibule. Sous un plafond décoré d’amours et de colombes, une cinquantaine de miroirs étaient pressés entre quatre armoires dos à dos. Des consoles dorées, des vases de porphyre cachaient la cheminée. Delormel se laissa tomber dans un fauteuil en tapisserie; tandis que son valet lui passait des pantoufles, il expliqua au peintre ce qu’il espérait de lui :
    — Vous voyez ces portraits au mur ?
    — Assurément, Monsieur. On dirait des portraits de famille.
    — C'en est.
    — Ce chevalier au regard d’aigle est de vos ancêtres ?
    — Hélas non, ce sont des portraits que j’ai négociés sur les quais, mais je voudrais que vous y ajoutiez mon propre portrait, dans le même genre d’attitude.
    — Cela fera plus vrai, dit Tallien en souriant.
    — C'est ce que je cherche.
    — Facile, dit le peintre. Vous avez une physionomie intéressante.
    — Cela prendra du temps ?
    — Deux heures de pose.
    — Ressemblant ?
    — Vous direz : « Ce n’est plus un portrait, c’est un miroir! »
    — A la bonne heure ! Combien ?
    — Soixante livres.
    — Une bagatelle!
    — En numéraire.
    — Evidemment, les assignats ne valent même plus le prix du papier dont ils sont faits.
    — Et quand puis-je commencer ?
    — Tout de suite.
    Le peintre prépara sa toile et ses couleurs, indiqua à son modèle la façon dont il devait s’asseoir face à la lumière des portes-fenêtres ouvertes sur le jardin. Sans bouger, donc, Delormel demanda à Tallien quelle sorte d’affaire l’amenait.
    — Une montagne de savon.
    — Hé hé!
    — Le limonadier qui détient les savons m’en propose une somme très honorable, mais...
    — Il faut avancer la somme.
    — Vous avez deviné.
    — On les revendrait à qui, ces savons ?
    — J’ai déjà un acheteur à l’armée du Rhin. Il accepte de les payer quatre fois notre mise.
    — Pas mal !
    Ils s’étaient appréciés à la compagnie Ouen, sur la rive gauche, une société de fournitures et de subsistances militaires. Tallien était déjà spécialisé dans le savon et les bonnets de coton. Toujours sans bouger, Delormel vit au fond de la pièce son épouse qui bâillait.
    — Monsieur le peintre, un autre jour vous reviendrez pour le portrait de Madame Delormel. Je la voudrais en nymphe.
    — En nymphe cela s’impose, dit le rapin d’une voix obséquieuse, et dans un décor champêtre.
    — Mon jardin ?
    — Par exemple.
    — Je vais acheter demain des statues ou des colonnes brisées pour renforcer le caractère antique de la

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