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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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allions voir un véritable devin pour vérifier les prédictions du général ?
    — Oui oui, et s’il dit les mêmes choses nous en serons bien éblouies.
    Garat montait sur l’estrade où il venait entonner chaque soir des chants italiens, accompagné par Méhul ou Cherubini, ou des rondeaux comme Enfant chéri des dames , voire des couplets graveleux qui plaisaient beaucoup. Ce petit bonhomme bouffi, au nez en trompette et au toupet frisé, avait été le chanteur préféré de la reine Marie-Antoinette, et il restait en vogue. Par flatterie il avait choisi une chanson simplette qui faisait allusion à la maîtresse en titre de Barras, Rose de Beauharnais :
    Bouton de rose
    Tu seras plus heureux que moi
    Car je te destine à ma Rose
    Et ma Rose est ainsi que toi
    Bouton de rose...
    A l’autre extrémité des salons, devant l’entrée, en jabot, chapeau à deux cornes sous le bras, la mine défaite, Fréron faisait signe à Barras.
    — Vicomte, dit Buonaparte à l’oreille de Barras, notre ami Fréron t’appelle...
    Barras se retourna, s’esquiva au deuxième couplet de la chansonnette et retrouva Fréron qu’il interrogea du regard.
    — Louis XVII est mort, lui annonça Fréron.
    — Ça ne va rien arranger, dit Barras en plissant le front.
    Le jour même de l’exécution de Robespierre, Barras était allé à la prison du Temple visiter le petit roi de neuf ans, l’otage de la République. Il avait la gale, des genoux enflés, ne tenait plus sur ses jambes. Barras avait ordonné des soins urgents. C'était trop tard. Lui disparu, ses oncles en exil allaient faire valoir leurs droits au trône de France.
    — L'opinion va murmurer que nous l’avons assassiné, dit Fréron dans un souffle.
    Buonaparte avait suivi Barras et écouté Fréron :
    — Il n’y a qu’à brouiller les rumeurs, dit-il.
    — Qu’est-ce que tu entends par là, général ?
    — Alimentons d’autres rumeurs dans les cafés, au Palais-Royal, sur les places.
    — Lesquelles ?
    — Répandons l’idée que le mort d’aujourd’hui n’est pas le vrai Louis XVII, que tu lui as substitué un autre enfant de son âge, Barras, quand tu lui as rendu visite, que tu l’as fait échapper, qu’il vit toujours, qu’il peut revenir et que ce gros imbécile de comte de Provence, à Vérone, qui se voit très bien en Louis XVIII, n’est pas encore l’héritier légitime du trône. Qui peut prouver que Louis XVII est mort? Son médecin ?
    — Son médecin a eu un accident fatal la semaine dernière, dit Barras.
    Dans le cadre paisible et solennel du café de Chartres, les glaces murales qui agrandissaient la salle reflétaient une agitation anormale, faite à la fois de consternation et d’énervement. Sous les plafonds à caissons dorés, entre les colonnes chargées de motifs plus ou moins mythologiques et de fleurs peintes en guirlandes, les muscadins occupaient la totalité des tables, assis, debout, graves, contrariés. Ils ne causaient que de la disparition de Louis XVII dans des conditions douteuses : les journaux venaient de l’annoncer sans trop de commentaires, alors chacun y allait de sa fable :
    — Il a été empoisonné, j’en ai la certitude.
    — Pourquoi diable, cher Davenne ? disait un grand poudré.
    — Fort simple. Le gouvernement élimine l’enfant que les royalistes veulent mettre sur le trône de France, du coup la révolte en Vendée et en Bretagne n’a plus de prétexte.
    — Des prétextes? Il y en a! Les prétendants ne manquent pas, le comte de Provence, le comte d’Artois...
    — Ils vivent en exil.
    — Et après ?
    — Vous les voyez rentrer en France avec des régiments anglais ou autrichiens ? Il y aurait une guerre peu glorieuse.
    — Au fait, demanda un garçon de bureau en chignon, de quoi serait-il mort ?
    — De maladie, dit-on.
    — S'il était malade, pourquoi nous l’avoir caché?
    — La Convention était forcément au courant.
    — J’ai appris que le chirurgien qui le soignait est mort lui aussi la semaine dernière, dit Dussault. Je le tiens de Fréron en personne.
    — Un témoin gênant, mon ami, on s’en débarrasse.
    Saint-Aubin venait de parler. Son œil était guéri mais il conservait ce bandeau noir qui lui donnait une allure de vétéran.
    — Ce médecin aurait été témoin de quoi ?
    — De mauvais traitements ?
    — On ne nous montrera pas le corps.
    — Et même si on nous le montrait? dit Saint-Aubin. Qui peut affirmer devant ce cadavre : « Oui, c’est Louis XVII ».

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