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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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Madeleine !
    C'était le cimetière des décapités, installé sur un ancien marais en dehors de Paris. Les jacobins y avaient enterré Louis XVI en veste blanche et bas de soie, la tête entre les jambes. Cette proximité effrayait Thérésia et Rose, mais elles suivirent leur amie Rosalie dans la cour de l’immeuble. Des élégantes emplumées, des ci-devant marquises, des mégères de la Halle, des jeunes gens aux toupets collés par du blanc d’œuf attendaient en file dans l’escalier qui montait au premier étage chez le tireur de cartes Martin, un cul-de-jatte qui imitait l’accent italien pour se donner un genre et ramassait une fortune en pièces d’or. Elles s’ajoutèrent à la file.
    — Martin est extraordinaire, disait Rosalie. Il m’a prédit la fortune une semaine avant que je rencontre Delormel.
    — Sa réputation, dit la veuve Beauharnais, est meilleure que celle de son quartier. J’en ai entendu parler.
    — Moi aussi, bien sûr, dit Thérésia, mais l’endroit reste sinistre.
    — Il a cultivé ses dons avec un moine franciscain, continuait Rosalie Delormel. Vous verrez, c’est le crâne de ce moine, couronné de coquelicots, qu’il conserve dans son salon.
    Une heure plus tard, car les consultations n’étaient pas longues, un commis fit entrer les trois femmes dans le salon de Martin. Salon était un grand mot pour désigner une pièce humide dont la peinture faisait des cloques, entre des gravures bibliques qui figuraient le Passage de la mer Rouge ou Salomon rendant son jugement. Martin était assis à contre-jour de l’unique fenêtre, derrière une longue table en bois brut, des béquilles contre sa chaise. Il avait les cheveux ras, le visage lisse, il ne bronchait pas. Ses clientes s’installèrent sur des chaises bancales. Rosalie jeta trois louis sur la table, alors l’oracle s’anima, battit un jeu de tarot graisseux, le coupa, étala ses cartes selon un rituel. Thérésia voulut commencer.
    — Je vois du sang, lui dit Martin.
    — C'est la couleur de ma voiture...
    — Rassure-toi, ce sang n’est pas le tien... Hé! tu es entourée d’hommes, il y en a un plus grand que les autres, l’un des premiers de la Convention... J’en vois un autre plus riche encore, et un plus jeune, un prince...
    — Je serai princesse ?
    — Les cartes l’affirment.
    Thérésia pâlit en se souvenant des prédictions du petit général corse, l’autre soir à la Chaumière. Ce fut au tour de Rose. Martin brassa à nouveau ses cartes, les tira, les plaça, les interrogea et dit :
    — De l’argent. Toujours de l’argent. Beaucoup. Des toilettes somptueuses, le jeu, des châteaux... Un soldat... Il voyage...
    Martin posa son doigt sur la carte de l’Europe dépliée sur sa table et montra l’Italie.
    — Et puis ? demanda Rose.
    — Tu seras impératrice.
    Un soir de juillet, se promenant avec Junot au Jardin des Plantes, qu’on avait récemment agrandi pour y adjoindre les ménageries de Versailles et de Trianon, Buonaparte s’arrêta devant la nouvelle statue de Buffon. Il grignotait une part de boudin grillé achetée dans une échoppe.
    — Il est de chez toi, Junot.
    — La statue ?
    — Buffon est mort à Montbard, ton pays et celui de Daubenton. Tu sais ce qu’il y a dans le piédestal ?
    — De la pierre...
    — Son cervelet.
    Après avoir rendu visite au naturaliste Daubenton, l’inventeur du mouton mérinos que connaissait l’oncle maternel de Junot (un chanoine spécialiste des abeilles), le général avait emmené son aide de camp méditer devant le squelette de Turenne, qu’on avait posé entre celui d’un rhinocéros et celui d’un éléphant. Ils marchaient maintenant sous des berceaux de roses en discutant.
    — Junot, tu sais comment le général Sylla a refait sa fortune ?
    — Il a pillé la Grèce, tu me l’as déjà dit.
    — Non. Il a hérité d’une riche courtisane.
    — Tu veux l’imiter ?
    — Si c’est possible.
    — Tu penses à Madame Tallien ?
    — Barras m’en voudrait.
    — Tu penses à l’argent des Clary ?
    — Oh non!
    Napoléon ne pensait plus à l’argent des Clary, et si peu à leur fille Désirée qui voyageait du côté de Gênes avec sa sœur et le mari de celle-ci, Joseph, le frère aîné du général. Maman Laetitia, ses filles et le petit Jérôme vivaient à Marseille aux crochets des Clary, riches drapiers de la Cannebière, et si Buonaparte avait épousé Désirée il aurait de la fortune, mais se voyait-il traîner entre

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